Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/96

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bruit. Mais le matin, il fallait venir à la Palestre — puis revenir avec le maître, et on restait chez lui jusqu’au soir. Comme ce serait long avant qu’ils puissent plaider au foro — mais quel bonheur quand on n’aurait plus de coups de férule !… (6)

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La soirée avait été bonne. Elles rentraient joyeuses, satisfaites. Et Djounia donnait le bras à Roudia en se serrant contre elle. Elles logeaient un peu loin, derrière la voie Sacra, dans un dédale de petites rues boueuses. Mais l’appartement était si joli ! Perché au sixième, sous le toit, les fenêtres rondes, trop petites pour être grillées, s’ouvraient sur la campagne bleue. Sous le soleil étincelant, le matin, le Tibre jaune avait l’air d’un ruban d’or. Le matin la brise fraîche secouait le chaume qui pendait du toit devant les fenêtres. — Souvent les hirondelles y bâtissaient leur nid. — C’était là que demeuraient les deux “sœurs”. Le père de Djounia était acteur au Cirque. — La petite était vicieuse dès onze ans. Elle se roulait dans l’escalier avec les garçons et se faisait pincer dans les coins sombres. Le père la vendit deux fois — mais comme elle s’émancipait, il en eut assez et la jeta à la rue.

Deux mois elle vécut sur le trottoir — ramenant la nuit les passants attardés sous le péristyle des maisons fermées — fuyant les délateurs à travers les ruelles et les passages — couchant dans la banlieue, sous un hangar, sur la paille, pêle-mêle avec les pioches et les râteaux. Le jour, elle le passait vautrée dans l’herbe, au bord du fleuve, dans le soleil. Elle adorait l’odeur de l’herbe fraîche — l’anéantissement où on ne pensait à rien et où on dormait délicieusement, réveillée parfois par une bête qui