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Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/95

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fugitif, c’est aujourd’hui que tu vas perdre la vie !

“Corocotta, le petit porc, a dit : “Si j’ai commis un méfait, si j’ai commis un crime, si j’ai cassé de la vaisselle, je t’en prie, maître cuisinier, donne-moi la vie, je t’en supplie !” Magirou le cuisinier a dit : “Esclave, viens ici : va me chercher mon couteau à la cuisine, afin que je répande le sang de ce petit porc.” — Voilà que tous les marmitons saisissent le petit porc — et comme Marcou Grounniou Corocotta vit que sa mort était proche, il demanda une heure au cuisinier pour faire son testament. Il fit venir ses parents et leur dit :

“A mon père, Verrat le gros, je donne trente boisseaux de glands ; à ma mère, la vieille Truie, je donne quarante boisseaux de farine, et à ma sœur Quirina, je donne trente boisseaux d’orge. Et de mon corps…”

Alors tous les enfants se mirent à crier ensemble. D’un côté on entendait : “Je donne mes soies aux cordonniers, mes oreilles aux sourds, ma langue aux avocats” — de l’autre : “Je donne mes muscles aux femmelettes, mes pieds aux coureurs, mon estomac aux joueurs de cornemuse.” — C’était un grand tumulte où chacun voulait placer son mot. Et comme cela les amusait, ils recommencèrent une seconde fois, tandis que d’autres marchaient bras-dessus, bras-dessous, en causant du maître et des leçons du jour. Fanniou avait reçu trois coups de férule sur les doigts pour avoir mal récité l’alphabet ; le maître lui avait même dit : “Attends, attends ! essaye de recommencer, et je te ferai plus de taches sur la peau qu’il n’y en a au manteau d’une nourrice !”

Et jamais un instant de liberté ! S’ils avaient pu sortir aujourd’hui, c’est que le maître avait sommeil — et qu’ils avaient ouvert la porte, sans faire de