Page:Marcel Schwob - Œuvres complètes. Écrits de jeunesse.djvu/99

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Ah, malheur sur eux ! malheur ! que Iahweh les confonde.

“Qu’El me pardonne pour l’avoir nommé — je ne l’ai pas invoqué en vain. Malheur sur les Goïïm et les Roum, malheur !”

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Ce soir-là, sous le pont de Soublikiou, tout était en fête. Les mendiants dépenaillés, les voleurs silencieux, les étrangleurs féroces s’animaient dans l’orgie. Sous les arches des rondes couraient, folles : les loupae dansant aux bras des foures, entrelacées et rythmant leurs pas. Les feux de sarments qui brûlaient en pétillant éclaboussaient de lueurs soudaines les groupes épars ; le long des piliers, le feu rouge jetait ses langues de flamme qui montaient, fourchues, et s’accrochaient aux blocs de pierre. Dans un coin, accroupi sur un tas de cailloux, un mendiant buvait silencieusement dans sa coupelle. Ses jambes sortaient tordues des bandelettes qui les entouraient jusqu’aux chevilles ; les morceaux rapiécés de son manteau tombaient entre ses genoux ; la tête appuyée sur ses deux mains, il songeait. Entre ses gros doigts noueux la peau rouge bouffait, pincée, et des poils blancs de sa barbe en jaillissaient par bouquets. Il pensait au vieux temps où il était jeune — où les loupae affolées par la brise des soirs d’été s’accrochaient à ses vêtements au détour des rues — où il demeurait avec sa Souccouve dans la Soubourre. Il pensait à toutes ces petites filles qu’il avait dressées dans cette Soubourre, au fond de ce gynécée que sa Loukia chérie avait si bien mené — dans cette Soubourre où les maisons silencieuses se réveillaient pendant la sieste et quand la nuit tombait — où des hommes masqués se confondaient