Page:Marceline Desbordes-Valmore - Poèmes inédits, 1946 (Revue Lettres).pdf/4

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Où donc l’air pur, disais-je, et l’ombre, et la campagne,
Et la fleur véritable et qui se cueille, et l’eau
Dont le semblant scintille au fond de ce tableau,
Mais qui ne coule pas ! » Ta voix fraîche, ô Nature,
Appelait loin de l’art mon esprit sans culture,
Et vous, pardonnez-moi, chefs-d’œuvre confondus,
Pour mes sens imparfaits vous étiez tous perdus.

Mais là-bas, séparé des marbres, des dorures,
Ses riantes beautés qu’enchaînent leurs bordures,
Et d’enfants qu’on eût dit prêts à courir vers nous,
Qui donc force la foule à plier les genoux ?
Quel sombre attirement, quelle chaste lumière,
A secouru de loin ma brûlante paupière ?
Quelle halte pieuse à travers les bruits forts
A suspendu la foule et ses houleux efforts ?
Un Christ ! Une croix haute en silence gardée
Par deux hommes rêveurs, deux soldats de Judée,
Veilleurs insoucieux des meurtres d’alentour,
Demandant à la Nuit : Quand donc fera-t-il jour ?

Il fait jour ! Il fait jour ! D’une croix éclairée
La lumière descend dans cette nuit sacrée ;
Mais, pour vos yeux de chair et malgré son retour,
Ô veilleurs de la mort, il ne fera plus jour.

La lune sur la terre avançant son visage
De rayons effrayés perce le noir feuillage

57