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Comme un esprit vivant qui juge cette mort,
Et le peuple qui tue et les Rois sans remord.

Au fond du lourd sommeil, la moquerie éteinte
Partout d’un saint effroi laisse couler la teinte,
Et l’âme en pleurs est libre enfin de se plonger
Dans ce repos terrible et doux à partager.
De vos flancs tout ouverts, ô vrai roi qu’on ignore, O
Ô Dieu vrai ! le pardon saigne et s’échappe encore ;
Il saigne, oracle amer des maux qui vont couler
Sur les ingrats que seul vous veniez consoler !

Qui donc a retracé ce triomphe sans armes,
Cet oracle muet qui crie avec des larmes ?
Pour peindre ainsi son Dieu de tendresse expiré
Au fond d’un cœur mortel qu’il faut avoir pleuré !
Qui donc a retrouvé ces couleurs introuvables,
Ces ténèbres qu’on voit, ces pardons ineffables.
Ce silence épandu dans l’air terrifié,
Ce lamentable adieu du cher Crucifié !
Cette nuit qu’on entend sangloter sous ses voiles,
Et l’orbe qui rougit dans un ciel sans étoiles,
Et l’herbe qui se penche en tremblant sous les pieds,
Les doux pieds de Jésus, les pieds froids et cloués.

Qui n’a pas vu cela ne saurait le comprendre,
Qui l’a vu s’en abreuve, et ne peut pas vous rendre,
Ô Christ ! Ô pieds sanglants ! Ô visage incliné !

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