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Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/104

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possessions, en effet, touchaient à l’autre rive. Celui-ci se déclarant hors d’état d’en venir à bout avec ses seules forces, une masse imposante de barbares se porta soudain sur ce point, résolue d’opposer les derniers efforts au passage de l’armée.

(9) On comprit alors que César avait eu doublement raison dans son refus, et que pour jeter le pont il fallait chercher l’endroit le plus favorable, là où l’on ne serait exposé ni à dévaster les terres d’un ami, ni à sacrifier une foule de vies dans une lutte désespérée avec une telle multitude.

(10) Les barbares à l’autre bord suivaient d’un œil attentif tous nos mouvements. Chaque fois qu’ils voyaient se déployer nos tentes, ils faisaient halte, et passaient la nuit sous les armes, dans l’attente inquiète d’une tentative de notre part pour forcer la barrière du fleuve.

(11) Arrivée enfin au point qu’on avait choisi, l’armée s’y reposa après s’être retranchée. César appela Lupiein au conseil, et donna aux tribuns dont il était le plus sûr l’ordre de tenir prêts trois cents hommes armés à la légère et munis de pieux, sans expliquer où il voulait les employer, ni à quel service.

(12) Vers le milieu de la nuit, il fit monter ce détachement dans quarante barques (c’était tout ce qu’on avait pu s’en procurer), avec l’ordre de descendre le fleuve dans le plus grand silence, sans même faire usage des rames, de peur que le bruit de l’eau battue n’attirât l’attention des barbares ; et de s’évertuer de corps et d’esprit pour réussir à gagner l’autre rive, tandis que l’ennemi n’aurait l’œil que sur les feux que nous tenions allumés.

(13) Au moment où ce coup de main se préparait, le roi Hortaire, qui, sans songer à rompre avec nous, conservait des relations de bon voisinage avec ses compatriotes, avait engagé les rois alamans nos ennemis, avec leurs parents et leurs vassaux, à un dîner qui se prolongea, selon l’usage de ces peuples, jusqu’à la troisième veille de la nuit. Le hasard voulut qu’en se retirant ils fissent rencontre des nôtres. Aucun des convives ne fut tué ni pris, grâce à la vitesse de leurs chevaux, qu’ils lancèrent au hasard ; mais on fit main basse sur les esclaves et les valets, qui les suivaient à pied. Le peu qui s’échappa ne dut son salut qu’à l’obscurité.

(14) Le fleuve était passé, et les Romains, comme dans les expéditions précédentes, se regardaient comme au bout de leurs peines, puisqu’on avait pu joindre l’ennemi ; mais cette diversion frappa de terreur les rois alamans et toute leur multitude, qui n’avaient eu qu’une idée en tête : empêcher qu’un pont ne fût jeté. Ce fut alors une dispersion générale ; et à cette furie indomptable succéda le plus vif empressement de chercher au loin sûreté pour soi, sa famille et ses biens. Le pont fut alors construit sans obstacles, et la population barbare vit, contre son attente, nos légions traverser, sans causer le moindre dommage, les possessions du roi Hortaire.

(15) Mais une fois qu’on eût touché le sol ennemi, tout fut mis à feu et à sang. Enfin, après avoir égorgé une foule d’habitants et incendié leurs frêles demeures, l’armée, qui ne rencontrait plus que des mourants ou des gens qui demandaient grâce, arriva au lien appelé Capellati ou Palas. Là se trouvent les bornes qui marquent la limite des territoires des Alamans et des Burgondes. On y campa, pour recevoir, dans une attitude moins hostile, la soumission de deux