Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/107

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toutes les formes. Tout ce manège infâme n’avait d’autre but que de gagner les bonnes grâces du grand chambellan Eusèbe, dont on aurait pu dire sans exagération que c’était son maître qui avait du crédit près de lui. Ce dernier avait un double motif d’animosité contre le maître de la cavalerie. Seul entre tous, celui-ci n’avait jamais eu recours à lui. Ursicin, de plus, s’obstinait à ne pas vouloir sortir d’une maison qu’il avait à Antioche, et dont Eusèbe convoitait ardemment la possession.

(4) Comme une couleuvre gonflée de venin, dont les petits commencent à peine à ramper, et qui déjà leur enseigne à mordre, Eusèbe dressait les jeunes eunuques de la chambre à profiter, pour ruiner petit à petit un homme de bien, des facilités de leur service intime, et des séductions de leur voix, restée douce et enfantine, sur l’oreille du prince. Ce genre de leçon ne les trouva que trop dociles.

(5) On serait tenté, en présence de tels faits, de réhabiliter la mémoire de Domitien, qui, au milieu de la réprobation trop justement attachée à son règne, si différent de celui de son père et de son frère, emporte cependant l’honneur d’avoir rendu la plus utile des lois : celle qui défend sous des peines très sévères la castration des enfants dans toute l’étendue de l’empire romain. Où en serait-on de nos jours si cette espèce de monstres eût pullulé, quand, même dans son petit nombre, elle trouve encore le moyen d’être un fléau ?

(6) On voulut cependant user contre Ursicin de circonspection. On faisait entendre qu’un nouveau rappel lui inspirerait des craintes ; qu’il pourrait bien alors ne plus rien ménager. Il valait mieux attendre l’occasion de l’accabler à l’improviste.

(7) Tandis qu’on épiait ce moment avec grande impatience, Ursicin et moi nous arrivions à Samosate, capitale célèbre autrefois du royaume de Commagène. Là, nous reçûmes coup sur coup avis d’événements dont je vais parler.

Chapitre V

(1) Un nommé Antonin, qui de riche négociant était devenu intendant du duc de Mésopotamie, puis était entré dans le corps des protecteurs, s’était fait une grande réputation d’intelligence et de capacité dans la province. Menacé, par d’injustes répétitions, de la perte d’un capital considérable, il tenta de plaider ; mais il avait affaire à des hommes puissants, et les juges inclinant du côté du plus fort, son bon droit reçut échecs sur échecs. Loin de se roidir contre l’injustice, il prit le parti de plier et d’user d’adresse. Il se reconnut débiteur, et simula un abandon au fisc du montant de la somme exigée. Un sinistre projet de vengeance germait dès lors dans sa tête. Il s’appliqua secrètement à pénétrer tous les ressorts de l’État et de l’administration. Familier avec les deux langues, ayant à sa disposition les comptes, il sut bientôt le nombre, la force, la distribution des corps de troupes, et la destination ultérieure de chacun en cas de guerre. Son investigation infatigable alla jusqu’à scruter la situation et les ressources de l’armement, des subsistances, et de tout ce qui compose le matériel de campagne.

(2) Il sut enfin le fort et le faible de notre état militaire d’Orient, et reconnut aussi que la présence prolongée de l’empereur en Illyrie concentrait sur ce point la majeure partie de nos troupes, et des fonds nécessaires à la solde. Dès lors, sentant approcher le terme de l’obligation que la contrainte et la peur lui avaient fait souscrire, et voyant sa catastrophe imminente, car il n’avait pas de grâce à attendre du grand trésorier,