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Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/14

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troupes romaines cantonnées dans les municipes nombreux du pays, ou dans les forts de la frontière. Mais l’invasion néanmoins ne laissait pas de s’étendre ; car dans les premiers engagements qui eurent lieu, soit avec le gros des barbares, soit avec leurs partis détachés, les nôtres, partout inférieurs en nombre, ne combattirent qu’avec désavantage des ennemis nés et nourris au milieu des montagnes, gravissant toutes leurs aspérités avec la même aisance que nous marchons en plaine, et qui tantôt vous accablent de loin sous une grêle de traits, tantôt sèment l’épouvante par d’affreux hurlements. Souvent nos soldats, forcés pour les suivre d’escalader des pentes abruptes, en glissant et en s’accrochant aux ronces et aux broussailles des rochers, voyaient tout à coup, après avoir gagné quelque pic élevé, le terrain leur manquer pour se développer et manœuvrer de pied ferme. Il fallait alors redescendre, au hasard d’être atteints par les quartiers de roches que l’ennemi, présent sur tous les points, faisait rouler sur leurs têtes ; ou, s’il y avait nécessité de faire halte et de combattre, se résigner à périr sur place, écrasés par la chute de ces blocs monstrueux.

Finalement, on eut recours à une tactique mieux entendue : c’était d’éviter d’en venir aux mains tant que l’ennemi offrirait le combat sur les hauteurs, mais de tomber dessus, comme sur un vil troupeau, dès qu’il se montrerait en rase campagne. Des partis d’Isauriens s’y risquèrent souvent, et furent chaque fois taillés en pièces avant qu’un seul homme eût pu se mouvoir, ou brandir l’un des deux ou trois javelots dont ce peuple marche ordinairement armé.

Ces brigands commencèrent alors à regarder comme dangereuse l’occupation de la Lycaonie ; car c’est généralement un pays de plaines, et plus d’une expérience leur avait démontré qu’ils ne pouvaient tenir contre nous en bataille rangée. Ils prennent donc des routes détournées, et pénètrent en Pamphilie, contrée intacte depuis longtemps, mais que la crainte de l’invasion et de ses désastres avait fait couvrir de postes militaires très rapprochés, et de fortes garnisons. Comptant sur la vigueur de leurs corps et l’agilité de leurs membres, ils s’étaient flattés de prévenir, par une marche forcée, la nouvelle de leur irruption ; mais les sinuosités du chemin qu’ils s’étaient tracé, et l’élévation des crêtes à franchir, leur prirent plus de temps qu’ils n’avaient pensé. Et lorsque, surmontant ces premiers obstacles, ils arrivèrent aux escarpements da fleuve Mélas, dont le lit, profondément encaissé, forme une sorte de circonvallation autour de la contrée, la peur s’empara d’eux, d’autant plus qu’il était nuit close ; et il fallut faire halte jusqu’au jour. Ils avaient compté passer le fleuve sans coup férir, puis tout surprendre et ravager à l’autre bord. Mais il leur restait à subir de rudes épreuves, et en pure perte. Au lever du jour, ils voient devant eux des rives ardues, un canal étroit mais profond, qu’il faut renoncer à franchir à la nage. Tandis qu’ils cherchent à se procurer des barques de pêcheurs, ou fabriquent à la hàte des radeaux en joignant ensemble des troncs d’arbres, les légions, qui hivernaient dans les environs de Sida, se portent en un clin d’œil sur la rive opposée, y plantent résolument leurs aigles, et, improvisant un rempart de leurs boucliers habilement joints, n’eurent plus qu’à tailler en pièces tout ce qui se hasarda sur les radeaux, ou tenta le passage à l’aide des troncs