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Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/188

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tandis que, lentement et en silence, il dirigeait ses pas vers le palais. Ce fut bien pis quand il vit venir à lui le sénat et la population de la ville. Tant de misère après tant de splendeur mit le comble à son affliction. Il reconnut plusieurs personnes avec lesquelles il s’était trouvé en relation, au temps où il avait pour maître son parent éloigné, l’évêque Eusèbe.

(5) Il gratifia la ville d’un subside considérable pour l’aider à réparer son désastre, et se rendit ensuite par Nicée sur les frontières de la Gallo-Grèce. De là, par un détour sur la droite, il alla visiter à Pessinonte le temple antique de Cybèle, dont, pendant la seconde guerre punique, Scipion Nasica avait, sur la foi des vers sibyllins, fait transporter la statue à Rome.

(6) Nous avons donné, dans le règne de l’empereur Commode, une relation particulière de l’arrivée de cette statue en Italie, et de quelques circonstances qui y ont rapport. Les historiens présentent diverses étymologies du nom de la ville.

(7) Quelques-uns prétendent qu’il dérive du verbe grec G-pesein, tomber, parce que cette effigie de la déesse était tombée du ciel. Suivant d’autres, ce nom lui aurait été donné par Ilos, fils de Tros, roi de Dardanie. Théopompe, de son côté, affirme que ce ne fut pas Ilos, mais bien le puissant monarque de Phrygie, Midas, qui fut son fondateur.

(8) Julien, après avoir fait ses dévotions à la déesse, et offert des sacrifices sur ses autels, revint sur ses pas à Ancyre. Il allait quitter cette dernière ville et poursuivre son voyage, quand il se vit assiégé par une foule importune de plaignants. Celui-ci avait été dépouillé de ses biens ; celui-là classé à tort dans telle curie. Quelques-uns poussaient la passion au point de jeter, à tout hasard, l’accusation de lèse-majesté à la tête de leur adverse partie.

(9) Plus impassible que les Cassius et les Lycurgue, Julien, au milieu de ces clameurs, pesait impartialement chaque circonstance, et, sans errer jamais, rendait à chacun justice. Mais il se montrait surtout sévère à l’égard des calomniateurs. Il détestait cette engeance, ayant appris à ses dépens, quand il n’était que simple particulier, jusqu’où peut aller leur rage.

(10) Un fait entre mille prouvera, du reste, combien les allégations de ce genre faisaient peu d’impression sur lui. Un homme qui en voulait mortellement à un autre faisait grand bruit contre son adversaire d’une atteinte portée, disait-il, à la majesté du prince, et revenait sans cesse à la charge près de l’empereur, qui feignait toujours de ne pas entendre. Julien enfin lui demanda ce qu’était l’accusé ? "Bourgeois, répondit-il, et fort riche." Le prince sourit : "Et quelle preuve, dit-il, avez-vous contre lui ? — Il a fait teindre en pourpre un manteau de soie," s’écria l’accusateur.

(11) Julien se contenta de lui dire que deux hommes de rien, l’un accusant l’autre d’un tel crime, ne valaient pas qu’on s’occupât d’eux ; et qu’il eût à se taire, et à rester en repos. Mais le plaignant, ne se tenant pas pour battu, insista de plus belle. Julien, excédé, se tourne alors vers le trésorier des largesses, qui était présent, et lui dit : "Faites donner à ce dangereux bavard une chaussure de pourpre pour l’homme à qui il en veut, et qui s’est fait faire, dit-il, un vêtement de cette couleur. Il verra ce qu’on gagne, à moins que d’être bien fort, à s’affubler de cette