Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/22

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nances, de quel culte on devient l’objet, dès qu’on est sans lignée.

Rome est le centre d’action de l’univers entier. Il est donc naturel que les maladies y sévissent plus qu’ailleurs, et que souvent toutes les ressources de l’art médical deviennent impuissantes même pour les pallier. Or, voici le préservatif qu’on a imaginé : Quand on a quelque ami atteint d’une affection grave, on s’épargne le spectacle de ses souffrances. Autre précaution qui ne laisse pas que d’être efficace : Un valet est-il dépêché pour s’enquérir de la santé du patient ? à son retour le logis lui est fermé, jusqu’à ce qu’il ait fait aux bains ablution complète. On craint la vue d’un malade même par intermédiaire : mais qu’il survienne une invitation à quelque noce, où l’argent se distribue à pleines mains ; de tous ces gens si méticuleux sur leur santé il n’en est pas un, fût-il travaillé par la goutte, qui, ne trouve des jambes pour courir, s’il le faut, jusqu’à Spolète. Voilà la vie que se sont faite les grands.

Quant à la populace qui n’a ni feu ni lieu, tantôt elle passe la nuit dans les cabarets, et tantôt elle dort à l’abri de ces tentures dont Catulus, étant édile, s’avisa le premier, par un raffinement emprunté à la mollesse campanienne, de couvrir nos amphithéâtres ; ou bien elle se livre avec fureur au jeu des dés, retenant son haleine, qu’elle chasse ensuite avec un bruit dont l’oreille est choquée ; ou bien encore (et c’est là le goût qui domine) on la voit du matin au soir, bravant le soleil et la pluie, s’exténuer en débats sans fin touchant les moindres circonstances du mérite ou de l’infériorité relative de tel cheval ou de tel cocher. Étrange engouement que celui de tout un peuple respirant à peine dans l’attente du résultat d’une course de chars ! Voilà les préoccupations auxquelles Rome est livrée, et qui n’y laissent place pour rien de sérieux. Mais revenons à notre sujet.

VII. Déjà la tyrannie de César était suffisamment à charge aux gens de bien ; mais elle passa bientôt toute mesure, et l’oppression, pesant indifféremment sur les hauts fonctionnaires publics, sur les magistrats des villes et même sur le bas peuple, s’étendit sur l’Orient tout entier. Dans un accès de rage, il alla jusqu’à envelopper dans une liste d’exécution en masse les noms des citoyens les plus notables d’Antioche. Et cela, parce qu’il avait exigé la publication d’un abaissement arbitraire de tarif au moment où une disette était imminente, et que ceux-ci avaient fait à l’agent du fisc une réponse un peu vive. Pas un n’eût échappé sans la courageuse résistance d’Honorat, qui était encore alors comte d’Orient. On aurait pu juger des penchants cruels de ce prince, rien qu’à la passion qu’il affichait pour les spectacles qui font couler le sang. La représentation prohibée d’un combat de ceste, où cinq ou six couples de malheureux se meurtrissaient et s’ensanglantaient à l’envi sous ses yeux, dans le cirque, lui causait la joie d’une bataille gagnée. Cette disposition sanguinaire s’irrita encore par l’avis qu’il reçut d’une trame ourdie contre lui par quelques soldats des plus obscurs. La révélation venait d’une femme de basse condition, qui avait sollicité et obtenu qu’on l’introduisît au palais pour être entendue. Constantine, dans l’enthousiasme de cette découverte, et comme si les jours de son mari eussent été désormais assurés, combla de présents la délatrice, et la fit reconduire dans son propre char, par la porte d’honneur. On comptait que ces faveurs serviraient d’amorce à