Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/249

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

vigoureusement en leur tuant ou blessant beaucoup de monde.

(8) Au sortir de ce campement nous occupâmes, la nuit suivante, Charcha, où, grâce à la destruction des redoutes dont la rive du fleuve était autrefois garnie pour fermer l’Assyrie aux Sarrasins, nous n’eûmes à essuyer aucune insulte.

(9) Le jour des calendes de juillet après une marche de trente stades, nous approchions d’une ville nommée Doura, quand les conducteurs de nos bagages, que la fatigue de leurs bêtes contraignait d’aller à pied, et qui se trouvaient conséquemment en arrière, furent soudain enveloppés d’une nuée de Sarrasins qui en auraient eu bon marché si quelques légers escadrons des nôtres ne fussent venus à propos les dégager.

(10) Les Sarrasins s’étaient tournés contre nous, à compter du retrait des subsides et tributs dont on leur avait précédemment laissé prendre l’habitude. Quand ils s’en étaient plaints à Julien, ils avaient obtenu pour toute réponse : "C’est le fer et non l’or à la main que négocie un prince guerrier qui fait lui-même ses affaires."

(11) Les Perses, par des escarmouches sans fin, nous retinrent dans ce canton quatre mortelles journées, nous obligeant continuellement à des retours offensifs dès qu’ils nous voyaient en marche, et sitôt que nous offrions le combat se repliant en arrière. On accepte aisément les illusions dans les circonstances désespérées. Le bruit s’était répandu que nous n’étions plus loin de notre frontière, et déjà l’armée à grands cris demandait à passer le Tigre.

(12) L’empereur s’y refusa positivement, de l’avis de tous les chefs ; et, montrant aux soldats le fleuve gonflé par la crue de la Canicule, il les conjurait de ne pas risquer cette périlleuse tentative. Un grand nombre d’entre eux, disait-il, ne savaient pas nager et, de plus, l’ennemi occupait en force les deux rives.

(13) Mais il avait beau multiplier les objections, l’insistance n’en était que plus forte ; et l’impatience de l’armée, se manifestant par de furieuses clameurs, menaçait d’en venir aux dernières extrémités. On finit à regret par céder, et donner l’ordre aux Germains et aux Gaulois du Nord d’entrer les premiers dans le fleuve. On calculait que si ceux-ci étaient emportés par le courant, leur désastre servirait de leçon à l’opiniâtreté des autres, et que ce serait un préjugé favorable au passage s’ils arrivaient sains et saufs à l’autre bord.

(14) On choisit donc les plus habiles dans ce genre d’exercice, ceux pour qui traverser les immenses fleuves de leurs contrées natales était une habitude d’enfance, une partie de l’éducation. Tous, à la faveur des ombres de la nuit, s’élancèrent, comme à un signal donné, au milieu des ondes, et atteignirent l’autre rive plus tôt même qu’on ne l’eût cru possible. De là marchant sur le ventre à quelques postes ennemis qui s’étaient endormis au lieu de faire bonne garde, ils en firent grand carnage, et s’empressèrent aussitôt d’élever en l’air les mains, agitant les pans roulés de leurs sayons en témoignage de leur audacieux succès.

(15) On vit de loin leur signal, et l’armée brûlait de les rejoindre ; mais il fallait attendre. Les ingénieurs avaient promis d’établir un pont avec des outres et des cuirs de bœufs, et la confection en éprouvait des retards.

Chapitre VII

(1) Au milieu de tant d’efforts sans résultats, le roi Sapor, qui, de loin ou de près, était constamment bien informé par ses coureurs et par les transfuges, n’ignorait rien des exploits de nos soldats, du carnage affreux de ses troupes, ni de