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Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/52

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suite des temps, couvert le pays de nombreuses colonies.

Nous abrégeons cette revue, que trop de fidélité finirait par rendre fastidieuse. Insensiblement la civilisation s’introduisit chez ce peuple : il prit goût au culte de l’intelligence, sous l’inspiration de ses bardes, de ses eubages et de ses druides. Les bardes célébraient les grandes actions dans des chants héroïques, où se mariaient les doux accords de la lyre ; les eubages interrogeaient, commentaient les sublimes secrets de la nature. Quant aux druides, leurs spéculations étaient encore d’un ordre plus élevé : formés en communautés dont les statuts étaient l’œuvre de Pythagore, l’esprit toujours tendu vers les questions les plus abstraites et les plus ardues de la métaphysique comme le maître, ils tenaient en mépris les choses d’ici-bas, et déclaraient l’âme immortelle.

X. Cette région, qu’à la réserve de ses cantons maritimes séparent du reste du genre humain des monts gigantesques couronnés de neiges éternelles, tient de la nature un ensemble de défense aussi complet que si l’art s’en fût mêlé. Baignée au midi par les mers Tyrrhénienne et Gallique, vers le nord elle oppose aux barbares le cours du Rhin pour barrière. Elle a l’Océan et les Pyrénées pour rempart au couchant ; et, du côté où le soleil se lève, la masse imposante des Alpes Cottiennes. C’est là que le roi Cottis tint seul contre nous si longtemps, protégé par ses impraticables défilés et par ses rocs inaccessibles. Ce prince toutefois rabattit plus tard de sa fierté ; et ce fut lui qui, devenu l’ami de l’empereur Octavien, par un retour d’affection mémorable, et après des efforts inouïs, ouvrit plus loin, au travers des vieilles Alpes, ces routes si commodes qui en abrègent le trajet. Je donnerai une autre fois sur cette opération les renseignements que j’ai pu recueillir.

Dans la chaîne des Alpes Cottiennes qui s’appuie à la ville de Suse, se trouve une crête presque impossible à franchir. La montée, pour le voyageur qui vient de la Gaule, s’en opère facilement sur un plan peu incliné ; mais pour descendre par le versant opposé on trouve une pente et des précipices dont la vue seule fait frémir. C’est surtout au printemps, quand la température adoucie détermine le dégel et la fonte des neiges, que sur une chaussée étroite, bordée des deux côtés par des précipices, et coupée de fondrières masquées par une accumulation de frimas, il faut voir chanceler, trébucher piétons, bêtes de charge et voitures. On n’a encore trouvé qu’un expédient pour diminuer les chances de destruction : c’est d’assujettir les véhicules au moyen de gros câbles qu’on retient en arrière à force de bras, ou avec des attelages de bœufs ; et, une fois enrayés de la sorte, de les convoyer un peu plus sûrement jusqu’au pied de la côte. Voilà comme les choses se passent au printemps.

En hiver, la scène change : le sol, durci et comme poli par la gelée, n’offre partout qu’une surface glissante où l’on peut à peine tenir pied ; et de profonds abîmes, auxquels une croûte de glace donne l’apparence perfide de la plaine, engloutirent plus d’une fois les imprudents qui osèrent s’y risquer. Aussi, pour le salut des voyageurs, les habitants du pays, à qui les passes sont connues, ont-ils soin de leur jalonner la route la plus sûre par de longues perches fichées en terre. Mais que, renversés par les éboulements, ces pieux viennent à disparaitre sous la neige, la traversée devient bien dangereuse, même en prenant pour