Page:Marcellin, Jornandès, Frontin, Végèce, Modestus - Traductions de Nisard, 1860.djvu/82

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que ce n’était pas tout d’avoir occupé ce fort avec une facilité inespérée, et que pour s’y maintenir il fallait le pourvoir de machines de rempart et d’un matériel complet de défense. Sur la foi des promesses de Julien, trois des plus violents parmi les rois qui avaient fourni des contingents à la ligue vaincue à Argentoratum s’en revinrent, tout tremblants cette fois, protester devant lui, avec les formes sacramentelles du rite barbare, de leur tranquillité future, et de la stricte observation du pacte jusqu’au terme fixé ; promettant de respecter ce fort auquel nous attachions tant d’importance, et d’apporter, fût-ce à dos d’homme, des vivres à la garnison dès qu’elle ferait signe d’en manquer. La crainte cette fois l’emporta sur leur duplicité ; ces conditions furent fidèlement remplies. Julien put donc se glorifier à juste titre de l’heureuse issue de cette campagne, dont le succès était comparable à ceux des guerres puniques et des Teutons, mais acheté à moindre prix. Ses détracteurs soutenaient cependant que la bravoure dont il venait de donner tant de preuves n’était chez lui que de calcul, et qu’il cherchait un trépas glorieux sur un champ de bataille, par la peur qu’il avait de périr, comme son frère Gallus, de la main du bourreau. C’était bien là effectivement ce que lui réservaient de coupables espérances ; et on serait tenté de croire que la malignité avait rencontré juste, si tant d’actions d’éclat, postérieures à la mort de Constance, ne donnaient un démenti formel à de telles suppositions.

II. Julien, ayant ainsi tiré de son expédition tout le parti possible, revint prendre ses quartiers d’hiver ; mais d’autres épreuves l’attendaient au retour. Sévère, général de la cavalerie, se rendant à Reims par Agrippine[1] et Juliacum[2], vint se heurter contre une bande agile et déterminée de Francs, au nombre de seize cents, comme on le sut depuis, qui profitaient de l’absence de nos troupes pour ravager le pays. Sachant César occupé à poursuivre les Alamans jusqu’au fond de leurs retraites, leur audace s’était flattée de recueillir un riche butin sans coup férir. À l’approche de l’armée, ils se jetèrent dans deux forts qu’on avait laissé dégarnir, et s’y défendirent de leur mieux.

D’abord étonné d’un coup de main si hardi, Julien en comprit bien vite les conséquences. Il arrêta donc l’armée devant ces deux forteresses, baignées des eaux de la Meuse, et en fit le siège dans les formes. Mais l’incroyable opiniâtreté des barbares l’y retint cinquante— quatre jours, c’est-à-dire la presque totalité des mois de décembre et de janvier. Les nuits alors étaient sans lune, et la rivière était gelée ; et comme le prévoyant Julien craignait que l’ennemi ne profitât de cette circonstance pour faire retraite, du soir au matin, par son ordre, des soldats montés sur des barques légères parcouraient la rive haut et bas pour rompre la glace, et enlever ce dernier espoir aux assiégés, dont, par ce moyen, pas un ne pouvait fuir. Voyant cette ressource leur manquer, et réduits aux abois par la fatigue et la faim, ils se rendirent prisonniers, et furent aussitôt dirigés vers la cour. Un corps considérable de leurs compatriotes avait essayé d’opérer une diversion pour les dégager ; mais la nouvelle de leur capture et de leur translation lui fit rebrousser chemin, sans pousser plus loin la tentative. La campagne étant donc terminée, César alla passer le reste de l’hiver chez les Parisiens.

  1. Cologne.
  2. Juliers.