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L’ÉCONOMIE POLITIQUE.

du sauvage, qui ne s’enrichit point, est souvent plus rude que celui du laboureur qui, dans un pays civilisé, répand à pleines mains la richesse. Les longues et périlleuses excursions des sauvages à la poursuite d’une proie, leur ignorance des arts, et la difficulté qu’ils éprouvent dans l’exercice de toute espèce d’industrie, dans la construction des habitations les plus simples, dans la fabrication des instruments les plus grossiers, tout concourt à rendre pour eux le travail pénible. Le travail toutefois est le partage de l’homme ; sauvage ou civilisé, il est destiné à manger son pain à la sueur de son visage. Mais comment arrive-t-il que dans un cas le travail produit l’opulence, tandis que dans l’autre, il ne donne que l’étroit nécessaire ?

CAROLINE.

Vous avez remarqué que le travail du sauvage est moins avantageux à cause de son ignorance et de son peu d’habileté ; il ne porte pas d’ailleurs au travail le même zèle, la même activité, la même persévérance que l’homme civilisé. Vous savez que l’indolence des sauvages a passé en proverbe.

MADAME B.

Il faut donc trouver des motifs qui puissent les faire sortir de cet état d’indolence ; qui soient capables d’éveiller leur industrie, et de les accoutumer à un travail régulier. Les hommes sont naturellement disposés à l’indolence ; tout travail exige un effort, et on ne fait d’effort que lorsqu’on y est excité par quelque espèce de stimulant. L’activité qu’on observe dans la vie civilisée est le produit de l’éducation ; elle résulte du désir général et fortement senti de partager non-seulement les choses nécessaires à la vie, mais les divers biens et les diverses jouissances qui semblent s’offrir à nous. L’homme qui, à la suite de son travail journalier, a reçu la récompense des fatigues qu’il a endurées, est tout prêt à faire les mêmes efforts, parce qu’il sait qu’il renouvellera ainsi ses jouissances. Mais l’ignorance du sauvage prévient chez lui le désir de ce qui ne lui procure pas un moyen immédiat de satisfaire à ses besoins ; aucun bien futur ne tente son ambition, aucune jouissance espérée n’enflamme ses désirs ; pour l’engager à quelque effort, il ne faut pas moins que la forte impulsion du besoin. Quand il a assouvi sa faim, il se livre au repos, sans songer à l’avenir.