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L’ÉCONOMIE POLITIQUE.

prix des peines et des dépenses nécessaires pour les planter ? Je m’étonne cependant que le gouvernement du pays n’encourage pas, pour son propre intérêt, l’industrie de ses sujets.

MADAME B.

Sous le malheureux gouvernement des Turcs, tout est si mal assuré, depuis la vie et la propriété du souverain jusqu’à celle du dernier des sujets, que personne ne s’occupe de l’avenir ; chacun s’efforce de piller et de jouir de ce qui est immédiatement à sa portée. Le passage suivant vous fera voir combien ont à souffrir ceux qui sont soumis à un système de gouvernement si vicieux.

CAROLINE lit.

« C’est par les désordres d’un tel régime, que la plupart des pachalics de l’Empire se trouvent ruinés et dévastés. Celui d’Alep en particulier est dans ce cas : sur les anciens deftars ou registres d’impôts, on lui comptait plus de 3200 villages ; aujourd’hui le collecteur en réalise à peine 400. Ceux de nos négociants qui ont vingt ans de résidence ont vu la majeure partie des environs d’Alep se dépeupler. Le voyageur n’y rencontre de toutes parts que maisons écroulées, citernes enfoncées, champs abandonnés. Les cultivateurs ont fui dans les villes où leur population s’absorbe ; mais où du moins l’individu échappe à la main rapace du despotisme, qui s’égare sur la foule… Tandis qu’en d’autres pays les villes sont en quelque sorte le regorgement des campagnes, là elles ne sont que l’effet de leur désertion… Les chemins dans les montagnes sont très-pénibles, parce que les habitants, loin de les adoucir, les rendent scabreux, afin, disent-ils, d’ôter aux Turcs l’envie d’y amener leur cavalerie…

Le pacha peut s’applaudir de pénétrer aux sources les plus profondes de l’aisance, par la rapacité clairvoyante des subalternes ; mais qu’en arrive-t-il ? Le peuple, gêné dans la jouissance des fruits de son travail, restreint son activité dans les bornes des premiers besoins. Le laboureur ne sème que pour vivre ; l’artisan ne travaille que pour nourrir sa famille ; s’il a quelque superflu, il le cache soigneusement. »

Le peuple vit donc dans la pauvreté et dans la détresse ; mais au moins il n’enrichit pas ses tyrans, et la rapacité du despotisme devient son propre châtiment.