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L’ÉCONOMIE POLITIQUE.

pays, transporte ses tentes d’un lieu dans un autre, quand elle a consumé les fruits et épuisé les pâturages de l’endroit où elle s’était mise. Ainsi ils n’ont point d’intérêts à soutenir les uns contre les autres, et ils s’aiment tous d’un amour fraternel que rien ne trouble. C’est le retranchement des vaines richesses et des plaisirs trompeurs, qui leur conserve cette paix, cette union et cette liberté. Ils sont tous libres, tous égaux.

On ne voit parmi eux aucune distinction, que celle qui vient de l’expérience des sages vieillards, ou de la sagesse extraordinaire de quelques jeunes hommes qui égalent les vieillards consommés en vertu. La fraude, la violence, le parjure, les procès, les guerres, ne font jamais entendre leur voix cruelle et empestée dans ce pays chéri des dieux. Jamais le sang humain n’a rougi cette terre ; à peine y voit-on couler celui des agneaux… Quand nous avons commencé à faire notre commerce chez ces peuples, nous avons trouvé l’or et l’argent parmi eux employés aux mêmes usages que le fer ; par exemple, pour des socs de charrue. Comme ils ne faisaient aucun commerce au dehors, ils n’avaient besoin d’aucune monnaie. Ils sont presque tous bergers ou laboureurs. On voit en ce pays peu d’artisans : car ils ne veulent souffrir que les arts qui servent aux véritables nécessités des hommes ; encore même la plupart des hommes en ce pays, étant adonnés à l’agriculture ou à conduire des troupeaux, ne laissent pas d’exercer les arts nécessaires pour leur vie simple et frugale. »

MADAME B.

Voilà ma chère Caroline, une peinture de ce que les poètes appellent l’âge d’or ; il n’y manque, pour être parfaite, que la vérité. Si c’était un récit historique, toutes les conséquences que vous en tirez seraient justes ; mais c’est une fiction ; et vous m’accorderez bien que cela fait une différence essentielle.

En supposant que la terre fût un paradis, qu’elle donnât spontanément tout ce qui maintenant est produit par la culture, même encore en ce cas, sans l’établissement de la propriété, on ne pourrait pas en jouir ; les fruits de la terre seraient cueillis avant leur maturité ; les animaux seraient tués avant d’avoir achevé leur croissance ; car qui protégerait des choses qui ne lui appartiendraient