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L’ÉCONOMIE POLITIQUE.

l’impossibilité de payer l’impôt, ils s’enfuient et sortent de l’île. Le nombre des émigrations qui ont lieu annuellement par cette cause est si considérable, que la population de Chypre s’élève rarement au-dessus de 60,000 âmes ; nombre qui autrefois aurait à peine suffi à une de ses villes. »

CAROLINE.

Vous m’avez fait sentir les avantages de la civilisation ; j’avouerai toutefois que mon âme n’est pas pleinement satisfaite. N’y a-t-il aucun milieu entre la vie sauvage et l’extrême inégalité des conditions que nous voyons dans l’état présent de la société ? Ne pourrions-nous pas en avoir les avantages sans en avoir le luxe, l’abondance sans superfluité ? Il me semble avoir rencontré un exemple d’un tel peuple, madame B. ; mais je n’ose pas vous citer mon autorité, parce que vous l’avez ci-devant rejetée.

MADAME B.

Vous voulez parler de Télémaque. Il y a, dans cet ouvrage, beaucoup de doctrines saines ; quoiqu’il faille convenir qu’il n’est pas exempt d’erreurs. Mais quelle est donc, sur ce point, l’opinion de Fénélon ?

CAROLINE.

Vous rappelez-vous le tableau délicieux qu’il fait des habitants de la Bétique ? Il y a un charme irrésistible dans la description de leur félicité ; si tout cela est fabuleux, certainement du moins l’intention de l’auteur est de faire voir ce qui devrait faire le bonheur des nations ; l’égalité, la communauté des biens, peu d’arts et peu de besoins ; l’ignorance et le mépris du luxe ; des mœurs parfaitement conformes à la simplicité de la nature. Il faut que je vous lise ce passage, et vous me direz s’il ne contient pas la satire de l’économie politique.

« Ils vivent tous ensemble sans partager les terres ; chaque famille est gouvernée par son chef, qui en est le véritable roi… Il ne faut point de juges parmi eux ; car leur propre conscience les juge. Tous les biens sont communs, les fruits des arbres, les légumes de la terre, le lait des troupeaux, sont des richesses si abondantes, que des peuples si sobres et si modérés n’ont pas besoin de les partager. Chaque famille, errante dans ce beau