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NOS TRAVERS

tâcherons, suffisant à peine à accomplir les multiples travaux de la journée. Quand les hommes rentrent, ils s’assoient à une table toute servie ; les femmes pendant leur repas se lèveront vingt fois s’il le faut, pour satisfaire à leurs besoins ; ils fument ensuite, tandis qu’on range tout et ce plaisir entraîne encore pour la ménagère une pénible corvée. Tous leurs mouvements ont pour effet de détruire l’ordre établi au prix d’un dur labeur.

On les laisse tout faire — ou ne rien faire — on ne leur demande pas le moindre service. Pourquoi ? Parce qu’ils sont des hommes, et que l’on croirait ridicule de solliciter de leur part le léger secours qui allégerait d’une manière sensible un fardeau écrasant.

La mère d’un officier français qui était en même temps un fils affectueux, me racontait un jour que, durant une vacance de son service militaire, le jeune homme la trouva dans de fâcheux embarras domestiques, et forcé de s’arracher à sa chère compagnie pour vaquer aux soins du ménage. Que fit le brave soldat, le héros en herbe et le bon fils ? Tout simplement ce que lui suggéra son cœur : suivre sa mère, et lui aider, avec une gaucherie distinguée et charmante, à se débarrasser de la besogne.

Il en est qui auraient trouvé ridicule ce fier militaire mettant le couvert ou essuyant la vaisselle, tout en racontant à son interlocutrice ravie ses exploits au Tonkin ; mais les natures délicates saisiront le côté touchant et poétique du tableau.

Le jeune homme ne crut pas déchoir de sa dignité en faisant ce que sa mère consentait elle-même à faire ; et en réalité je ne vois pas ce qui peut dispenser le sexe fort, redevable à l’autre des soins prodigués à son enfance et de la conservation de la vie, de se montrer secourable et entièrement dévoué à ses bienfaitrices.

On retrouve sous une autre forme, très commune, cette inégalité des privilèges entre les deux sexes : des