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NOS TRAVERS

elle recommencerait, aussitôt la première tâche accomplie, une nouvelle entreprise.

Ainsi, quelque vieux que vive l’homme, il ne se déclarera jamais satisfait. Il voudra toujours, comme les enfants : un peu de beurre pour finir son pain, puis un peu de pain pour utiliser son beurre.

Pourquoi alors s’éterniser ?

Pour recommencer cette existence dont on s’est plaint si souvent ? Pour se relancer à la poursuite du bonheur, fantôme bizarre et capricieux dont tous les vieillards sont les dupes ? Pour revivre tous ses souvenirs cuisants qui s’appellent regrets ; pour travailler, s’user, se morfondre pendant de longues années à la recherche de l’or, de la gloire, et manquer son but à la fin, ou n’être plus en état de jouir de sa victoire si on l’atteint, ou perdre d’un autre côté ce que l’on comptait acquis et sans quoi l’or et la gloire sont superflus ?

Serait-ce pour reprendre de gaieté de cœur sa chaîne de forçat humain et subir la loi qui nous condamne à employer toute notre énergie, à dépenser toutes les forces de notre corps pour sa conservation ? Pour entreprendre à nouveau la lutte acharnée, incessante contre la corruption qui nous gagne un peu tous les jours ?

Est-ce pour cela, ou, comme disent les gens de théâtre pour survivre à sa gloire, à l’amour qu’on a pu inspirer, à l’intérêt que l’on a fait naître ?

Pour s’offrir en victime à l’égoïsme de ses descendants dont la sollicitude attendrie, la douceur indulgente sont inspirées par la certitude d’une prochaine séparation ?

Ou, encore serait-ce pour refaire une vie édifiante, mortifiée, réparatrice ? Ce n’est même pas la peine, puisqu’on trouve tout ce qu’il faut en fait de pénitence de l’autre côté.

Telle est la loi naturelle : les vieux après avoir joué leur rôle ici-bas doivent se ranger.