Aller au contenu

Page:Marchand - Nos travers, 1901.djvu/191

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
195
L’ART DE NE PAS VIEILLIR

Au lieu d’entrer doucement dans l’heureuse enfance qui revient après la violente mêlée de la vie pour endormir les passions, dénouer insensiblement les liens terrestres, on verrait les bonnes gens mus par l’ardeur d’un égoïsme ravivé, reprendre dans l’arène la place cédée jadis.

Chez certaines tribus sauvages, on tue les vieillards devenus inutiles. L’épreuve qui détermine le moment opportun de l’exécution consiste en ceci : On fait monter dans un arbre le candidat à la mort. Des bras vigoureux secouent cet arbre de toutes leurs forces. Celui qui étreint assez fortement les branches pour s’y maintenir malgré ces violentes secousses, obtient un sursis.

Les civilisés n’agissent pas de même. Ils attendent avec plus ou moins de patience que les anciens choisissent leur moment.

Que deviendrait cependant la longanimité de la sixième génération si les ancêtres, au lieu de se borner discrètement à orner les murs de ses maisons de leurs images démodées, s’imaginaient de se cramponner obstinément à l’arbre de la vie.

La nature humaine est susceptible d’un certain rendement de respect. Je ne tiendrais pas, pour ma part, à courir la chance de voir la vénération de mes arrière-petits enfants faire faillite devant l’impôt extraordinaire qu’exigerait mon opiniâtre vétusté.

À quoi bon vouloir se mettre à durer si longtemps ?

Quelques-uns diront :

— Pour achever une tâche importante commencée.

Hélas, il n’est pas dans les destinées de ce monde ou du pouvoir d’un mortel de compléter quoi que ce soit. Une intelligence humaine peut tout au plus ébaucher une grande œuvre que les efforts des autres mettront peut-être des siècles à parfaire.

Et s’il lui était possible de conclure quelque chose