Page:Marchand - Nos travers, 1901.djvu/34

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d’aimables effets sur le talent oratoire des tribuns en stimulant, j’imagine, ce qui peut surnager d’innocente vanité au milieu de leurs vertus civiques et autres (car la vanité est le grand levier de tous les succès). Il n’y a pas d’exemple qu’elles aient nui autrement à la satisfaction de leur appétit.

Cependant, pourquoi faut-il une ombre, ou plutôt un nuage, à ce tableau imposant ? L’hypothèse que les convives le suscitent sciemment dans le but de voiler certains excès à leurs spectatrices est inadmissible. Des hommes graves et raisonnables se rassemblant pour agiter des questions de la plus haute importance sont au-dessus de pareils soupçons : on ne pourrait donc, sans une inconcevable témérité, s’arrêter à croire que nos maîtres, nos supérieurs en intelligence, puissent abdiquer toute dignité en une circonstance aussi sérieuse.

Non, ils n’ont rien à céler. Seulement, saura-t-on jamais dans quel but ils prennent à la gorge leurs inoffensives et platoniques invitées, et pour quelle raison ils les aveuglent, leur arrachent des larmes au moyen de cet intense et dérisoire encens que des centaines de bouches lancent vers elles.

La raison ? il faut la chercher dans le despotisme de la pipe qui — ne vous en offusquez pas, mesdames — ne se connaît pas de rivales.

Pourquoi les salons sont-ils désertés par les gens sérieux, les hommes de poids dont le degré de culture morale et l’autorité relèveraient le niveau intellectuel de la société moderne ? Pourquoi ceux qui s’y aventurent par accident ou par nécessité sont-ils si dépaysés et si maussades ? Pourquoi les jeunes filles ne rencontrent-elles plus guère dans le monde que des apprentis de la vie, frais émoulus du collège ou non encore dégagés des langes d’une cléricature : danseurs convaincus, philosophes qui n’ont rien d’insondable, charmants néophytes, je ne le nie pas, mais qui ne sauraient suffire à des petites femmes de vingt ans.