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LES DÉMONSTRATIVES

présomption de celui qui se reconnaît le pouvoir de vous garder aussi longtemps qu’il le désire et autorise le public à proclamer votre préférence pour ce privilégié. La tyrannie des salons envers la femme du monde lui laisse au moins les moyens de se soustraire, quand elle le veut, à un tête-à-tête trop prolongé.

Celle qui se prête à ces inconvenantes séquestrations dans l’embrasure d’une fenêtre, s’affiche ; et une jeune fille bien née ne doit craindre rien tant que de s’afficher. (Je ne parle pas ici des langoureuses qui s’établissent à demeure avec un monsieur dans un coin isolé, en se dérobant le plus possible à la vue des autres. Celles-là font plus que s’afficher, elles se compromettent gravement.)

Un grand personnage, de passage dans notre pays, il n’y a pas très longtemps, s’était pris d’un goût fort partial pour une de nos plus jolies Canadiennes. Avec une assurance toute saxonne, le jeune conquérant ne vit aucun inconvénient à inscrire son nom six fois sur le carnet de bal de cette gracieuse personne, dans une des nombreuses fêtes qu’on donna en son honneur. Notre compatriote, constatant cette tentative de monopole, effaça en souriant, et sous les yeux du puissant seigneur, plus de la moitié de son griffonnage distingué.

Elle savait qu’en s’exhibant à ce point avec un personnage en vedette, elle attirerait sur elle les regards et l’attention de la foule envieuse. Or, elle estima sa réputation plus haut que la noblesse de son illustre admirateur, et mit le triomphe de son indépendance au-dessus d’un succès de vanité.

Tout ce qu’une nature impulsive nous commande n’est pas toujours compatible avec les manières d’une fille bien élevée. Plus on est raffiné moins on est instinctif. La politesse, les convenances, l’étiquette sont les conquêtes de la civilisation sur l’immoralité primitive des hommes. Ces noms profanes traduisent de belles vertus.