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Page:Marchand - Nos travers, 1901.djvu/77

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FAUX DEVOUEMENT

à la trace dans une maison, tant ils dérangent tout sur leur passage ? Peut-être vous figurez-vous qu’elle élèvera strictement ses filles dans les notions d’économie diligente qu’elle n’a cessé de pratiquer ? N’en ferait-elle rien pourtant, qu’il semblerait que le chef de la famille, lui, dût être plus sensé et qu’il dût chercher, au défaut des leçons maternelles, à inculquer de sages principes à ses enfants.

C’est comme un point d’orgueil chez les gens qui ont travaillé de laisser leurs filles grandir dans l’oisiveté. C’est un luxe qu’ils s’accordent, comme prix de leur vie de labeurs, ou une teinte aristocratique qu’ils croient se donner en nourrissant de belles demoiselles ne sachant se tricoter une paire de bas ni faire cuire une omelette.

Quand la vanité n’est pas le mobile c’est je ne sais quelle inexplicable faiblesse, quel dévouement mal placé qui attendrit les parents sur leur progéniture.

N’entendez-vous pas tous les jours des papas dire : « J’ai trop souffert dans ma jeunesse pour ne pas songer à exempter mon fils des privations que j’ai subies. »

Et des mamans qui pourvoyant seules à l’écrasante besogne du soin d’une grande famille et raccommodant, « pour se reposer », le linge de leur demoiselle tandis que celle-ci lit dans sa chambre ou se promène : « Que la pauvre petite profite de sa jeunesse ! Je ne veux pas qu’elle ait mon sort… Le temps viendra bien assez vite où il lui faudra se sacrifier et se morfondre ! »

C’est comme si la paresse des enfants et le fait que tous leurs désirs sont comblés vengeaient ceux qui les ont élevés des peines et des luttes du passé.

Ce sentiment est incompréhensible chez des hommes d’action, fils de leurs œuvres et qui connaissent les âpres joies du travail. Il ne s’explique pas davantage chez des femmes d’expérience ayant vu plus d’une fois dans leur vie les tristes fruits d’une mauvaise éducation.