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XLIII


De la maladie de Guillaume l’orfèvre, et du prêtre Jonas.


Il arriva que Guillaume l’orfèvre fut fort malade ; comme il commençait à se mieux porter et à recouvrer peu à peu sa santé, le moine, l’étant venu visiter, lui donna une potion de rhubarbe, ce qui le pensa faire mourir. Le voyant changé si subitement, je lui demandai ce qu’il pouvait avoir mangé ou bu qui l’eût mis en si piteux état ; il me dit que c’était le moine qui lui avait fait prendre deux écuelles pleines de breuvage, qu’il avait pris pour eau bénite. Je fus trouver le moine, et lui dis assez nettement ou qu’il allât, comme un apôtre, faire des miracles par la vertu des prières et de la grâce du Saint-Esprit, ou qu’il se comportât en médecin seulement et selon la science de la médecine, lui reprochant d’avoir donné une si forte et si dangereuse boisson à un malade sans y être préparé, comme si c’eût été une chose sacrée et bénite ; que si cela venait à la connaissance du monde, il en serait fort blâmé. Depuis cela il fut plus réservé et se garda plus de moi que jamais.

Environ ce même temps, le prêtre ou archidiacre Jonas devint aussi fort malade, et ses parents et amis envoyèrent quérir un devin sarrasin, qui leur dit qu’un certain homme maigre qui ne buvait, ni ne mangeait, ni ne couchait en un lit était fâché contre lui, et que si le malade pouvait obtenir sa bénédiction, il recouvrerait sa santé ; ils jugèrent aussitôt que celui-là que le devin avait désigné était le moine ; et environ la minuit, sa femme, sa sœur et son fils le vinrent trouver, le priant et conjurant de venir donner sa bénédiction au malade ; ils nous éveillèrent aussi, afin que nous le priions d’y aller ; mais le moine nous dit de le laisser en repos et de ne nous point mêler de cela, d’autant que ce prêtre avec trois autres avaient de mauvais desseins contre nous, ayant résolu d’aller à