Page:Marco Polo et al. - Deux voyages en Asie au XIIIe siècle, 1888.djvu/43

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Sartach s’il voulait, sinon que je pusse m’en retourner. En cette contrée-là il y avait un proche parent de Baatu, nommé Scacatay, pour lequel j’avais des lettres de recommandation de l’empereur de Constantinople, qui le priait de me permettre le passage ; alors ils consentirent de nous donner des chevaux et des bœufs et deux hommes pour nous conduire ; et nous renvoyâmes ceux qui nous avaient amenés.

Mais avant que de nous donner cela, ils nous firent longtemps attendre, nous demandant de notre pain pour leurs petits enfants, et de tout ce qu’ils voyaient que portaient nos garçons, comme couteaux, gants, bourses, aiguillettes, et autres choses ; ils admiraient tout et le voulaient avoir. Sur quoi je m’excusais qu’ayant un grand chemin à faire nous ne devions pas nous priver des choses nécessaires pour un si long voyage ; mais ils me disaient que j’étais un conteur. Il est bien vrai qu’ils ne me prirent rien par force, mais c’est leur coutume de demander avec cette importunité et effronterie tout ce qu’ils voient, et tout ce qu’on leur donne est perdu entièrement. Ils sont fort ingrats, d’autant que, s’estimant les seigneurs du monde, il leur semble que l’on ne doit rien leur refuser ; et quoi qu’on leur donne, si l’on a besoin de leurs services en quelque chose, ils s’en acquittent très mal.

Ils nous donnèrent à boire de leur lait de vache, qui était fort aigre, car on en avait tiré le beurre ; et ils l’appellent « apra ». Enfin nous les quittâmes, et il me semblait bien que nous étions échappés des mains de vrais démons ; le lendemain nous arrivâmes vers leur capitaine. Depuis que nous partîmes de Soldaia jusqu’à Sartach, en deux mois entiers nous ne couchâmes en aucune maison ou tente, mais toujours à l’air ou sous nos chariots ; et en tout ce chemin nous ne trouvâmes aucun village ni vestige d’aucuns bâtiments, si ce n’était des sépultures des Comans en grand nombre.

Un jour le garçon qui nous guidait nous donna à boire du koumis, mais en le buvant je tressaillis d’horreur pour la nouveauté de la boisson, d’autant que jamais