Page:Marco Polo et al. - Deux voyages en Asie au XIIIe siècle, 1888.djvu/88

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Franks et le pape s’en réjouiraient grandement et le reconnaîtraient et tiendraient pour frère et ami, mais non pas que pour cela ils devinssent ses sujets et lui payassent tribut, comme font les autres nations : car en parlant ainsi, ce serait contre la vérité, ma conscience et ma commission. Cette réponse fit taire le moine, et nous allâmes ensemble au logis, que nous trouvâmes fort froid et mal en ordre. Comme nous n’avions rien mangé de tout ce jour-là, nous fîmes cuire un peu de viande pour notre souper. Notre guide et son compagnon faisaient bien peu d’état de nous ; mais ils étaient bien en cour, où ils faisaient bonne chère.

En ce même temps les ambassadeurs de Vastace[1], que nous ne connaissions point, étaient logés bien près de nous. Le lendemain, ceux de la cour nous firent lever au point du jour, et je m’en allai nu-pieds avec eux aux logis de ces ambassadeurs, auxquels ils demandèrent s’ils nous connaissaient. Un soldat grec d’entre eux se ressouvint de notre ordre et de mon compagnon, qu’il avait vu à la cour de Vastace avec notre ministre ou provincial, frère Thomas et ses compagnons ; celui-là rendit bon témoignage de nous. Alors ils nous demandèrent si nous avions paix ou guerre avec le prince Vastace ; je leur dis que nous n’avions ni l’un ni l’autre, et comme ils insistaient comment cela se pouvait faire, je leur en rendis la raison, que les pays étant bien éloignés les uns des autres, nous n’avions rien à démêler ensemble.

Sur quoi, ces ambassadeurs de Vastace m’avertirent qu’il valait mieux dire que nous avions la paix ensemble, ainsi qu’ils le firent entendre ; à quoi je ne répliquai rien. Ce matin-là j’avais tant mal aux ongles des pieds, qui étaient gelés de froid, que je ne pouvais plus aller nu-pieds, d’autant que ces pays-là sont extrêmement froids et d’un froid très âpre et cuisant.

  1. Ducas II, dit Vatace ou Vastace, empereur de Nicée, beau-fils et successeur de Théodore Ier, assiégea Constantinople, s’empara de la Macédoine, de Chio, de Samos, etc. ; il régna de 1235 à 1255.