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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/201

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qu’il me parut, qu’un homme de ma couleur pût souiller ses mains au contact de la podridumbre, ainsi qu’il appelait les reliques de ses aïeux.

Vers trois heures de l’après-midi, la chaleur devint presque intolérable, Pas un souffle d’air ne rafraîchissait l’atmosphère. Nos malheureuses mules, le col pendant et les oreilles ouvertes à angle obtus, paraissaient si fort accablées, que leur propriétaire s’empressa de recourir aux gousses d’ail, pour leur rendre un peu de vigueur. Pendant qu’il les frictionnait à tour de bras, sans tenir compte de la répugnance qu’elles manifestaient pour ce genre d’exercice, mes yeux, qui furetaient dans le vide, s’arrêtèrent sur un point noir immobile à l’extrémité de la plaine. Je le montrai au guide, qui ne l’eut pas plutôt aperçu qu’il s’écria : Es una bestia cansada ! (C’est un animal fatigué !) Sans attendre d’autre explication, j’éperonnai ma monture, afin de me rapprocher de la bête et de juger si son état était réellement désespéré, car je n’ignorais pas que, dans ces déserts de sable, ce que les muletiers nomment laconiquement el cansancio, est presque toujours la mort pour l’homme ou l’animal que la fatigue a surpris en route. Le mozo tenta de m’arrêter en me criant que j’allais surmener ma mule, mais je fis la sourde oreille et l’obligeai, bon gré mal gré, à galoper sur mes traces. En quelques minutes, nous atteignîmes l’animal abandonné.