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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/251

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gelait la moelle dans les os. Au bout de ce temps, les voisins, n’entendant plus rien, entrèrent chez le padre et le trouvèrent mort, tenant sa flûte entre ses bras. Le yaravi que vous allez entendre fut composé par lui, durant cette lugubre semaine[1] !… »

Pendant cette explication qui me fit frissonner, Anita avait, tant bien que mal, accordé la guitare, et, sur un geste itératif de sa mère, se mit à préluder ; aussitôt, les conversations cessèrent, chacun s’empressa d’accourir, et l’exécutante, entourée d’un cercle d’auditeurs, entonna d’une voix aigre et plaintive le fameux yaravi en la mineur, lequel n’avait pas moins de seize coplas. On me permettra de citer ici la première, à titre d’échantillon :

Querida del alma mia,
Mientras yaces sepultada
En tu lobrega mansion,
Tu amante canta y llora,
Al recordarse el pasado,
Mas sus cantos y gemidos
Que yà no puedes oir,
Se los va llevando el viento[2].

  1. Ce fait, connu dans toutes les provinces du Collao, eut lieu dans la bourgade de Coporaque, quelques années avant la proclamation de l’indépendance. Le yaravi attribué au padre Lersundi est l’œuvre de quelque rimeur du pays, et ne fut composé qu’après l’expulsion des Espagnols.
  2. Littéralement : — Bien-aimée de mon âme, pendant que tu reposes ensevelie dans ta sombre demeure, ton amant chante et pleure en se rappelant le passé : mais ses chants et ses gémissements, qu’à présent tu ne peux entendre, sont emportés par le vent.