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Page:Marcoy - Scènes et paysages dans les Andes, 1.djvu/307

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Eterno, les coulées basaltiques de Chachani et les arêtes aiguës de Pichupichu.

Vers dix heures, le ciel s’éclaircit et passa en un moment du gris de plomb au bleu de cobalt le plus pur. La lumière du soleil, qui ruissela bientôt sur les glaciers en cascades de flamme, nous olligea de mettre nos lunettes à tubes de carton et à verres bleus. L’aide de camp, privé de ces ressources, déploya sa cravate et s’en voila la face. Cette précaution, qui fera sourire le touriste parisien à qui il a été donné de contempler les Alpes du Piémont ou les glaciers de la Suisse, est employée par tous les voyageurs que le soleil surprend au milieu des neiges des Andes. Elle leur permet de défier le surumpi, une ophthalmie ou plutôt une cécité mêlée de cuisson, qui fait hurler de rage les individus qui en sont atteints ; le seul remède à cet étrange mal est de renfermer le sujet dans une chambre noire, où, pendant quinze jours, un mois, quarante jours, selon la gravité du cas, on l’abandonne à ses hurlements et à ses réflexions.

Inutile d’ajouter que les Indiens qui trottaient devant nous, aussi bien que les mozos qui fermaient la marche, n’eurent besoin ni de foulards ni de lunettes, et que leurs yeux obliques, mais puissants comme ceux des condors et des aigles, fixaient avec la même indifférence la neige et le soleil.

Pour éviter une perte de temps, nous déjeunâmes