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Page:Marga Andurain - Le Mari passeport, 1947.djvu/224

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LE MARI PASSEPORT

Dimanche 26 mai. — Je suis à bout de forces de nouveau, par cette perpétuelle attente.

J’ignore tout. M. M… lui-même ne me renseigne guère. Quelle faiblesse ! quelle impuissance ! Je comprends, dans ces moments de révolte, la haine du prisonnier pour l’homme du dehors qui ne saisit pas que la liberté est le seul bien au monde, puisque tous les espoirs, toutes les ambitions sont permis à l’homme libre et tout est refusé au prisonnier.

J’ai une crise de désespoir atroce. J’éclate en sanglots. Mais, au lieu de me cacher, j’appelle mes gardes, je leur dis que j’aime mieux mourir. Je réclame le sous-directeur de la police. Je me cogne la tête contre les murs, contre les barreaux de fer. J’espère attendrir par mes larmes Jaber Effendi et le rendre plus humain. Mais l’effet obtenu est inverse à mon attente. Il me reproche mes larmes, me demande si je n’ai pas honte de pleurer ainsi.

— Non, non, je n’ai pas honte, je suis trop malheureuse.

— Eh bien, si tu continues, tu auras les pires châtiments : on t’enfermera très loin, dans une chambre noire, sans air, très chaude, très sale…

— Grand Dieu, que peut-il y avoir de pire que la mienne ?

— Tu seras privée des visites du consul.

— Je suis tranquille. Il viendra de très loin pour me voir, il a son auto et j’ai confiance en lui, il ne m’abandonnera pas.

La lutte a ranimé mon courage. J’aime mieux maintenant que cet être au cœur dur s’en aille.

— Va-t-en, puisque tu es si méchant, je ne te demanderai plus rien.

Alors, un revirement inexplicable s’opère. Pour la première fois, Jaber Effendi a l’air de s’émouvoir.