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détails. Ahmed et Ali, mes fidèles serviteurs, me servent à la fois d’interprètes et de témoins, car Soleiman parle un arabe un peu différent du mien, et bien que comprenant le sens général de la conversation, il ne faut pas que des détails importants lui échappent dans les dispositions de nos accords verbaux.

Ahmed et Ali lui font jurer protection et respect. Soleiman promet, dans un langage imagé, de m’entourer de tout le confort et de m’éviter toute fatigue. Ma surveillance devient pour lui une mission sacrée, à laquelle il doit tenir plus qu’à la vie.

Pour sceller ce contrat et dissiper tout malentendu, ils répètent tous trois en baissant les yeux : « Ce mariage n’est qu’un simulacre administratif, Soleiman te respectera comme sa sœur. »

Une curieuse statue de l’antique Palmyre

Bien que cette scène ressemble au prologue d’un vaudeville à grand spectacle, elle est emprunte du caractère sérieux que lui confère le serment de Soleiman.

Mais que vaudra la parole de Soleiman ? À ceux qui m’objecteront une crédulité trop facile, je répondrai que le sentiment de l’honneur est plus développé chez les nomades du désert que chez beaucoup d’Européens, appartenant aux classes supérieures. Notre civilisation voit disparaître l’esprit chevaleresque, mais les musulmans ne l’ont pas abandonné.

Pour ma part, je ne m’incline que devant les sentiments et la parole donnée. Je ne puis respecter des lois faites par un gouvernement qui ne les observe pas lui-même pour lui-même.

Vers midi, mon futur époux revient me dire qu’il a reçu l’argent prévu pour son apport, et nous décidons de partir le lendemain à l’aube.

Aucun préparatif à faire, je partirai comme à la promenade et j’achèterai en route mes costumes arabes. Une joie de plus. Je supprime les malles, seul nuage à l’horizon d’un voyage.

Ali m’offre en cadeau un collier en tubes d’argent contenant des versets du Coran, qui doivent me servir de talisman.

Je passai la soirée tranquillement, près de mon vrai mari, lorsque Soleiman s’annonça :

— Que veux-tu, lui dis-je, je t’ai prévenu que je n’avais pas besoin de toi avant sept heures du matin.

— Le colonel, me répond-il d’un air gêné, a fait perquisitionner chez moi, sous prétexte d’une plainte en recel d’armes et d’antiquités, déposée par la direction du service archéologique de Beyrouth. Je dois me tenir à la disposition de la justice, en l’espèce le colonel auquel le Moudir, maire de la ville, a transmis sa plainte.

C’est évidemment ma faute ; j’avais eu le tort de me confier au colonel, et cela pour tranquilliser Soleiman, qui craignait beaucoup les réactions des militaires de Palmyre.

Je mets alors mon mari au courant et lui demande de bien vouloir m’accompagner chez le colonel. Il y consent avec beaucoup de gentillesse, quoique cette démarche l’ennuie affreusement.

Nous partons donc tous les trois chez ce fonctionnaire, qui nous reçoit, malgré cette heure tardive, en pyjama, le sourire aux lèvres, comme tout bon diplomate. La bouteille de champagne, de tradition dans sa maison, donne à notre démarche le caractère d’une simple visite d’amitié.

Sans m’encombrer d’une conversation de politesse, j’attaque immédiatement le sujet.

— Que signifie cette mesure ridicule prise contre Soleiman, vous savez aussi bien que moi que la plainte déposée par la direction des Antiquités n’est pas fondée.

Il me répond calmement qu’il a reçu une lettre de plainte et qu’il est obligé d’y donner suite. J’insiste :

— La plainte du chef de service ?

— Oui…

— Vous tombez bien, colonel, le directeur du service archéologique est justement à l’hôtel et je vais lui demander de venir vous voir de suite.

— Mais certainement, Madame. Je serai ravi de le voir !

En me levant, je lui réponds sèchement :

— Merci de votre réception, je suis particulièrement touchée de l’aide que vous apportez à mon entreprise.

Je me dirige vers la porte, tandis que le colonel chuchote quelques phrases à l’oreille de mon mari.

Je n’ai aucun doute sur la nature de cette confidence, que mon mari me confirme en me disant :

— Naturellement, il m’a demandé de ne pas lui envoyer M. S…, le directeur des Antiquités, mais il veut à tout prix retarder ton départ, pour te faire abandonner le projet de ce voyage.

Est-ce par amitié, ou par simple esprit d’opposition, en digne fonctionnaire du gouvernement ? Probablement pour les deux raisons.

Tout ceci ne change, bien entendu, rien à ma décision, et je donne rendez-vous à Soleiman pour le lendemain à l’aurore, sur la petite place de l’ancien village de Palmyre. Pour ne pas éveiller de soupçons, je déclare à tout le monde que je pars pour la France.

MARGA D’ANDURAIN.
(À suivre.)


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