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Page:Marguerite de France - Memoires et Lettres.djvu/118

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MÉMOIRES

une eresipele au bras ; il faut que vous disiez que lors les medecins vous l’avoient ordonné, mais que la saison n’y estoit pas si propre ; qu’à cette heure c’est leur saison, que vous suppliez le Roy vous permettre d’y aller. »

Mon frère ne s’ouvrist pas davantage devant cette compagnie pourquoy il le desiroit, à cause que monsieur le cardinal de Bourbon y estoit, qui tenoit pour le Guisart et l’Espaignol ; mais moy, je l’entendis soudain, me doubtant bien que c’estoit pour l’entreprise de Flandres, de quoy Mondoucet nous avoit parlé à tous deux. Toute la compagnie fust de cet advis, et madame la princesse de La Roche-sur-Yon, qui y debvoit aller, et qui m’aimoit fort[1], en receut fort grand plaisir, et me promit de m’y accompagner, et de se trouver avec moy quand j’en parlerois à la Royne ma mère pour luy faire trouver bon.

Le lendemain je trouvay la Royne seule, et luy re-

  1. Faut-il voir une preuve de cette affection dans la leçon très-sage, mais très-rude qu’elle adressa, en mourant, à Marguerite ? « Deux jours devant qu’elle mourust, dit Lestoile, la roine de Navarre, qui l’aimoit fort, la fust voir, à laquelle elle dit ces mots : « Madame, vous voyés ici un bel exemple en moi que Dieu vous propose. Il faut mourir, madame, et laisser ce monde ici, songés-y. Il passe et nous fait passer à ce grand juge, devant le throsne judicial duquel il faut tous comparoistre, et grands et petits, rois et roines. Retirés-vous, madame, je vous prie ; car il me faut prier et songer à mon Dieu, et vous ne me faites que ramentevoir le monde, quand je vous regarde. » Cela disoit-elle, ajoute Lestoile, pour ce que la roine de Navarre estoit, comme de coustume, diaprée et fardée, ce qu’on appelle à la cour bien accoustrée à son avantage. » (Journal de Henri III, avril 1578.)