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Page:Marguerite de France - Memoires et Lettres.djvu/128

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MÉMOIRES

fus à Mons ; qui fut plus que je ne pensois, estimant debvoir partir des le lendemain. Mais cette honneste femme me contraingnist de passer une sepmaine avec eux, ce que je ne voulois faire, craingnant de les incommoder. Mais il ne me feust jamais possible de le persuader à son mary ny à elle, qui encore à toute force me laissèrent partir au bout de huict jours. Vivant avec telle privauté avec elle, elle demeura à mon coucher fort tard, et y eust demeuré davantage, mais elle faisoit chose peu commune à personnes de telle qualité, qui toutesfois tesmoingne une nature accompagnée d’une grande bonté. Elle nourrissoit son petit fils de son lait ; de sorte qu’estant le lendemain au festin, assise tout aupres de moy à la table, qui est le lieu où ceux de ce païs-là se communiquent avec plus de franchise, n’ayant l’esprit bandé qu’à mon but, qui n’estoit que d’advancer le dessein de mon frere, elle parée et toute couverte de pierreries et de broderies, avec une robille à l’espagnole de toille d’or noire, avec des bandes de broderie de canetille d’or et d’argent, et un pourpoint de toille d’argent blanche en broderie d’or, avec des gros boutons de diamant (habit approprié à l’office de nourrice), l’on luy apporta à la table son petit fils, emmaillotté aussi richement qu’estoit vestue la nourrice, pour luy donner à taicter. Elle le met entre nous deux sur la table, et librement se desboutonne, baillant son tetin à son petit, ce qui eust esté tenu à incivilité à quelque autre ; mais elle le faisoit avec tant de grace et de naïfveté, comme toutes ses actions en estoient accompaignées,