Aller au contenu

Page:Marguerite de France - Memoires et Lettres.djvu/34

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
2
MÉMOIRES

cours, je ferois volontiers comme la vieille madame de Rendan, qui, ayant demeuré depuis la mort de son mary sans veoir miroir, rencontrant par fortune son visage dans le miroir d’un aultre, demanda qui estoit celle-là. Et, bien que mes amis qui me voient me veulent persuader le contraire, je tiens leur jugement pour suspect, comme ayans les yeux fascinez de trop d’affection. Je croy que quand vous viendrez à l’epreuve, vous serez en cela de mon costé, et direz, comme souvent je l’escris, par ces vers de du Bellay : c’est chercher Rome en Rome, et rien de Rome en Rome ne trouver[1].

Mais comme l’on se plaist à lire la destruction de Troye, la grandeur d’Athenes, et de telles puissantes villes, lors qu’elles florissoient, bien que les vestiges en soient si petits qu’à peine peut-on remarquer où elles ont esté ; ainsy vous plaisez-vous à descrire l’excellence d’une beauté, bien qu’il n’en reste autre vestige ny tesmoingnage que voz escripts. Si vous l’aviez faict pour representer le contraste de la nature et de la fortune, plus beau subject ne pouviez-vous choisir ; les deux y ayants à l’envy faict essay de l’effort de leur puissance. En celuy de la nature, en ayant esté tesmoin oculaire, vous n’y avez besoin d’instruction. Mais en celuy de la fortune, ne le pouvant descripre que par rapport,

  1. Voici les deux vers auxquels Marguerite fait allusion :

         Nouveau venu, qui cerche Romme en Romme,
         Et rien de Romme en Romme n’apperçois…

    (Œuvres françoises de Joachim du Bellay, fol. 384. Rouen, 1597.)