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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/166

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LA II. IOVRNEE DES NOVVELLES.

uice par vne amitié honneſte & raiſonnable, laquelle il conuertira par ſon ſainct eſprit du tout en luy. Vous priant que vous & moy oublions ce corps qui perit & tiẽt du vieil Adam, pour receuoir & reueſtir celuy de noſtre eſpoux Ieſus Chrift. Ce ſeruiteur religieux fut tãt aiſe & tant content d’ouïr ſa faincte volonté, qu’en pleurant de ioye luy fortifia ſon opinion le plus qu’il luy fut poſsible, luy diſant puis qu’il ne pouuoit auoir d’elle au mode autre choſe que la parolle, qu’il ſe tenoit bien heureux d’eſtre au lieu ou il auoit touſiours moyen de la reueoir, & qu’elle feroit telle, que l’vn & l’autre n’ẽ pourroit que mieux valloir, viuans en vn eſtat d’vn amour, d’vn cueur & d’vn eſprit, tirez & conduits de la bonté de Dieu, lequel il ſupplioit les tenir en ſa main ou nul ne peult perir. Et en ce diſant & pleurant d’amour & de ioye luy baiſa les mains, mais elle abbaiſſa ſon viſage iuſques à la main, & ſe dõnerent par vraye charité le ſainct baiſer de dilection. Et ſe contentant s’en partit Pauline, & entra en la religion de ſaincte Claire, ou elle fut receuë & voilée. Ce qu’apres elle feit entendre à ma dame la Marquiſe, qui en fut tant esbahie, qu’elle ne le pouuoit croire : mais s’en alla le lendemain au monaſtere pour la veoir & s’efforcer de la diuertir de ſon propos. A quoy Pauline luy feiſt reſponfe : que ſi elle auoit eu puiſſance de luy oſter vn mary de chair (l’homme du monde qu’elle auoit le plus aimé) elle s’en deuoit contenter, ſans chercher de la vouloir ſeparer de celuy qui eſtoit immortel & inuiſible : car il n’eſtoit pas en ſa puiſſance, ny de toutes les creatures du monde. La Marquiſe voyant ſon bon vouloir, la baiſa, la laiſſant à grand regret. Et depuis veſquirent Pauline & ſon ſeruiteur ſi ſainctemẽt & deuotement en leur obferuance, que lon ne doit douter que celuy, duquel la fin de la loy eſt charité, ne leur diſt à la fin de leur vie comme à la Magdaleine, que leurs pechez leur eſtoient pardonnez, veu qu’ils l’auoient beaucoup aimé, & qu’il ne les retiraſt en paix au lieu ou la recompenſe paſſe tous les merites des hommes.

Vous ne pouuez icy ignorer, mes dames, que l’amour de l’hõme ne ſe ſoit monſtrée la plus grande, mais elle luy fut ſi bien renduë, que ie voudrois que tous ceux qui s’en meſlent en fuſſent autant recompenſez. Il y auroit donc, diſt Hircan, plus de fols & de folles qu’il n’y en eut oncques. Appellez vous follie,

diſt