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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/167

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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

lie, diſt Oifille, d’aimer honeſtement en la ieuneſſe, & puis conuertir tout ceſt amour en Dieu ? Hircan en riant luy reſpondit : Si melencolie & deſeſpoir ſont louables, ie diray que Pauline & ſon ſeruiteur ſont bien dignes d’eſtre louëz. Si eſt-ce que Dieu, diſt Guebron, a pluſieurs moyens pour nous tirer à luy, dont les commencemens ſemblent eſtre mauuais, mais la fin en eſt tresbonne. Encores ay ie vne opinion, diſt Parlamente, que iamais homme n’aimera parfaitement Dieu, qu’il n’ait parfaictement aimé quelque creature en ce mode. Qu’appellez vous parfaictemẽt aimer ? diſt Saffredẽt : eſtimez vous parfaicts amãs ceux qui ſont tranſiz, & qui adorent les dames de loing ſans oſer monſtrer leur volonté ? I’appelle parfaicts amans, luy repondit Parlamente, ceux qui cherchent en ce qu’ils aiment quelque perfection, ſoit bonté, beauté, ou bonne grace, touſiours tendans à la vertu, & qui ont le cueur ſi hault & ſi honneſte qu’ils ne veullent pour mourir mettre fin aux choſes baſſes, que l’honneur & la conſcience reprouuent. Car l’ame, qui n’eſt creée, que pour retourner à ſon ſouuerain bien, ne faict tant qu’elle eſt dedans le corps, que deſirer d’y paruenir. Mais à cauſe que les ſens par leſquels elle en peut auoir nouuelle, ſont obſcurs & charnels par le peché du premier pere, ne luy peuuẽt monſtrer, que les choſes viſibles plus approchantes de la perfection, apres quoy l’ame court, cuidans trouuer en vne beauté exterieure, en vne grace viſible & aux vertuz morales, la ſouueraine beauté, grace & vertu. Mais quand elle les a cherchez & experimentez, & n’y trouue point celuy qu’elle aime, elle paſſe outre, comme l’enfant, qui ſelon ſa petiteſſe aime les pommes, les poires, les poupées & autres petites choſes, les plus belles que ſon œil peult veoir, & eſtime richeſſes d’aſſembler des petites pierres : mais en croiſſant aime les poupines viues, & amaſſe les biens neceſſaires pour la vie humaine. Mais quand il cognoiſt par plus grande experience que es choſes territoires n’y a nulle perfection ne felicité, il deſire chercher la vraye felicité, & le facteur & ſource d’icelle. Touteffois ſi Dieu ne luy ouure l’œil de foy, ſeroit en danger de venir d’vn ignorant vn infidele philoſophe. Car foy ſeulement peult monſtrer & faire receuoir le bien, que l’homme charnel & animal ne peult entẽdre. Ne voyez vous pas bien, diſt Lon-

t. iij