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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/206

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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

ſe vouloit excuſer, veid l’eſpée de ſon beaufrere ſi pres de luy, qu’il auoit plus de beſoing de ſe defendre que de s’enquerir de la cauſe de leur debat. Et lors ſe donnerent tant de coups & l’vn & l’autre, que le ſang perdu & la laſſeté les contraignit ſe ſeoir à terre, l’vn d’vn coſté, l’autre de l’autre : & en prenant leur halaine, le gentil-homme luy demanda : Quelle occaſion, mon frere, a conuerty la grande amitié que nous nous ſommes touſiours portez en ſi cruelle bataille ? Le beaufrere luy reſpondit : Mais quelle occaſion vous a meu de faire mourir ma ſœur, la plus femme de bien qu’oncques fut ? & encores ſi meſchamment, que ſoubs couleur de vouloir coucher auec elle l’auez pendue & eſtranglée à la corde de voſtre lict ? Le gentil-homme entendant ceſte parolle, plus mort que vif, diſt à ſon frere : Eſt-il bien poſsible que vous ayez trouué voſtre fœur en l’eſtat que vous dictes ? Et quand l’autre frere l’en aſſeura : Ie vous prie, mon frere, diſt le gentil-homme, que vous oyez la cauſe pour laquelle ie me ſuis parti de la maiſon : & à l’heure luy feit le compte du meſchant cordelier. Dont le frere fut fort eſtonné, & encores plus marry de ce que contre raiſon il l’auoit aſſailly. & en luy demandant pardon, luy diſt : Ie vous ay faict tort, pardonnez moy. Le gẽtil-homme luy reſpondit : Si ie vous ay faict tort, i’en ay la punition, car ie ſuis ſi bleſſé que ie n’eſpere iamais en eſchapper. Le beaufrere eſſaya de le remonter à cheual le mieux qu’il peut, & le remena en ſa maiſon, ou le lendemain il treſpaſſa, confeſſant deuant tous ſes parens & amis, que luy meſme eſtoit cauſe de ſa mort. Dont pour ſatiſfaire à la iuſtice, fut le beaufrere conſeillé d’aller demander ſa grace au Roy François premier de ce nom. Parquoy apres auoir faict honorablement enterrer mary, femme, & enfant, s’en alla le iour du ſainct Vendredy pourchaſſer ſa remiſsion à la court, & la rapporta maiſtre François Oliuier, lequel l’obtint pour le beaufrere, eſtant pour lors iceluy Oliuier chancellier d’Alençon, & depuis par ſes grandes vertuz eſleu du Roy chancellier de France.

Ie croy, mes dames, qu’apres auoir entendu ceſte hiſtoire treſveritable, il n’y aura aucun de vous qui ne penſe deux fois à loger telles gens en ſa maiſon : & ſçaurez qu’il n’y a plus dangereux venin, que celuy qui eſt le plus diſsimulé. Penſez, diſt

Hircan,