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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/207

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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

Hircan, que ce mary eſtoit vn bon ſot, d’amener vn tel gallant ſoupper aupres d’vne ſi belle & honeſte femme. I’ay veu le tẽps, diſt Guebron, qu’en noſtre païs il n’y auoit maiſon, ou il n’y euſt chambre dediée pour les beauxperes : mais maintenant ils ſont tant cogneuz, qu’on les craint plus qu’aduanturiers. Il me ſemble, diſt Parlamente, qu’vne femme eſtant dedans le lict (ſi ce n’eſt pour luy adminiſtrer les ſacrements de l’egliſe) ne doit iamais faire entrer beaupere ny preſtre en ſa chambre : & quãd ie l’appelleray, on me pourra bien iuger en danger de mort. Si tout le monde eſtoit autãt auſtere que vous, diſt Emarſuitte, les pauures preſtres ſeroient pis qu’excommuniez, d’eſtre ſeparez de la veuë des femmes. N’en ayez point de peur, diſt Saffredent, car ils n’en auront iamais de faulte. Comment ? diſt Simontault, ce ſont ceux qui par mariages nous lient aux femmes, & qui eſſayent par leur meſchanceté à nous en deſlier, & faire rompre le ſerment qu’ils nous ont fait faire. C’eſt grande pitié, diſt Oiſille, que ceux, qui ont l’adminiſtration des ſacrements, en iouënt ainſi à la pelotte : on les deuroit bruſler tous vifs. Vous feriez bien mieux de les honorer que de les blaſmer, diſt Saffredent, & les flatter que iniurier : mais paſſons outre, & ſcachons qui aura la voix d’Oiſille. Ie la donne, diſt elle, à Dagoucin : car ie le voy entrer en contemplation, telle qu’il me ſemble preparé à dire quelque bonne choſe. Puis que ie ne puis ny auſe, diſt Dagoucin, dire ce que ie pẽſe, à tout le moins parleray-ie d’vn, à qui cruauté porta nuiſance & puis profit. Combien qu’amour s’eſtime tant fort & puiſſant, qu’il veult aller tout nud, & luy eſt choſe ennuyeuſe, & à la fin importable d’eſtre couuert : ſi eſt-ce que bien ſouuent ceux, qui pour obeïr à ſon conſeil, s’aduancẽt trop de le deſcouurir, s’en trouuent mauuais marchands : comme il aduint à vn gentil-homme de Caſtille, duquel vous oirrez l’hiſtoire.

Gentile inuention d’vn gentil homme pour manifeſter ſes amours à vne Royne, & ce qui en aduint.
A iij