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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/213

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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

Tout tel qu’il eſt : Parquoy en le voyant
Ne l’ay cogneu tel comme en le croyant.
Le temps m’a faict veoir ſur quel fondement
Mon cueur vouloit aimer ſi fermement :
Ce fondement eſtoit voſtre beauté,
Soubs qui eſtoit couuerte cruauté.
Le temps m’a faict veoir beauté eſtre rien,
Et cruauté cauſe de tout mon bien,
Par qui ie fus de la beauté chaẞé,
Dont le regard i’auois tant pourchaẞé.
Ne voyant plus voſtre beauté tant belle,
I’ay mieux ſenty voſtre rigueur rebelle :
Ie n’ay laiẞé vous obeïr pourtant,
Dont ie me tiens tresheureux & content :
Veu que le temps cauſe de l’amitié
A eu de moy par ſa longueur pitié,
En me faiſant vn ſi honneſte tour
Que ie n’ay eu deſir de ce retour,
Fors ſeulement pour vous dire en ce lieu
Non vn bon iour, mais vn parfaict à dieu.
Le temps m’a faict veoir amour pauure & nu
Tout tel qu’il eſt, & dont il eſt venu :
Et par le temps i’ay le temps regretté
Autant ou plus que l’auois ſouhaitté,
Conduict d’amour qui aueugloit mes ſens,
Dont rien de luy fors regret ie ne ſens.
Mais en voyant ceſt amour deceuable,
Le temps m’a fait veoir l’amour veritable,
Que i’ay cogneu en ce lieu ſolitaire,
Ou par ſept ans m’a fallu plaindre & taire.
I’ay par le temps cogneu l’amour d’enhault,

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