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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/212

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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

donner ordre à ſon partement. Ce qu’il feit en telle forte, qu’il enuoya tout ſon train à ſa maiſon, & luy ſeul s’en alla auec vn varlet en vn lieu ſi ſolitaire, que nul de ſes parens & amis durãt les ſept ans n’en peut auoir nouuelle. De la vie qu’il mena durant ce temps, & de l’ennuy qu’il porta pour ceſte abſence, ne s’en peult rien ſçauoir, mais ceux qui aiment ne le peuuẽt ignorer. Au bout des ſept ans iuſtement, ainſi que la Royne alloit à la meſſe, vint à elle vn hermite portant vne grand barbe, qui en luy baiſant la main luy preſenta vne requeſte, qu’elle ne print la peine de regarder ſoudainement, combien qu’elle auoit accouſtumé de prendre de ſa main toutes les requeſtes qu’on luy preſentoit, quelques pauures que ce fuſſent. Ainſi qu’elle eſtoit à la moitié de la meſſe, ouurit la requeſte, dedans laquelle trouua la moitié de l’anneau qu’elle auoit baillé à Eliſor, dont elle fut fort esbahye & non moins ioyeuſe, & auãt lire ce qui eſtoit dedans, commanda ſoudain à ſon aumoſnier, qu’il luy feiſt venir ce grand hermite qui luy auoit preſenté la requeſte. L’aumoſnier le chercha par tous coſtez, mais il ne fut poſsible d’en ſçauoir nouuelles, ſinon qu’aucun luy diſt l’auoir veu monter à cheual, toutesfois il ne ſçauoit quel chemin il tenoit. En attendant la reſponſe de l’aumoſnier, la Royne leut la requeſte, qu’elle trouua eſtre vne epiſtre auſsi bien faicte qu’il eſtoit poſſible, & ſi n’eſtoit le deſir que i’ay de la vous faire entendre, ie ne l’euſſe iamais osé traduire. Vous priant penſer, mes dames, que la grace & le langage Caſtillan, eſt fans comparaiſon mieux declarant ceſte paſsion d’amour, que n’eſt le François : ſi eſt-ce que la ſubſtance en eſt telle.

Le temps m’a faict par ſa force & puiſſance
Auoir d’amour parfaicte cognoiſſance :
Le temps apres m’a eſté ordonné
En tel trauail durant ce temps donné,
Que l’incredule a par le temps peu veoir,
Ce que l’amour ne luy a fait ſcauoir.
Le temps, lequel auoit faict l’amour naiſtre
Dedans mon cueur, l’a monſtré enfin eſtre

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