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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/216

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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

qu’il n’eſt point diable plus importable, qu’vne dame bien aimée, & qui ne veult point aimer. Si i’eſtois vous, diſt Parlamente à Saffredent, auec telle opinion que vous auez, iamais ie ne ſerois femme. Mon affection a touſiours eſté telle, diſt Saffredent, & mon erreur ſi grande, que lá ou ie ne puis commander, encore me tiens-ie tresheureux de ſeruir. Car la malice des femmes ne peult vaincre l’amour que ie leur porte. Mais ie vous prie dictes moy en voſtre conſcience, louëz vous ceſte dame d’vne ſi grande rigueur ? Ouy, diſt Oiſille : car ie croy qu’elle ne vouloit eſtre aimée ny aimer. Si elle auoit ceſte volonté, diſt Simontault, pourquoy luy donnoit elle quelque eſperance apres les ſept ans paſſez ? Ie ſuis de voſtre opinion, diſt Longarine : car celles qui ne veulent aimer ne donnent nulle occaſion de continuer l’amour qu’on leur porte. Peult eſtre, diſt Nomerſide, qu’elle en aimoit vn autre qui ne valloit pas ceſt honneſte homme lá, & que pour vn pire elle laiſſa le meilleur. Par ma foy, diſt Saffredent, ie penſe qu’elle faiſoit prouiſion de luy pour le prendre à l’heure qu’elle laiſſeroit celuy que pour lors elle aimoit le mieux. Ie voy bien, diſt Oiſille, que tant plus nous mettrons ces propos en auãt, & plus ceux, qui ne veulent eſtre mal traictez, diront de nous le pis que leur ſera poſsible. Parquoy ie vous prie, Dagoucin, donnez voſtre voix à quelqu’vn. Ie la donne (diſt il) à Longarine, eſtant aſſeuré qu’elle nous dira quelque choſe de nouueau, & ſi n’eſpargnera homme ne femme pour dire la verité. Puis que vous m’eſtimez ſi veritable, diſt Longarine, ie prẽdray la hardieſſe de racompter vn cas aduenu à vn bien grand prince, & lequel paſſa en vertu tous les autres de ſon temps. Sçachez auſsi que la choſe, dont on doit moins vſer ſans extreme neceſsité, eſt menſonge & diſsimulation : car c’eſt vn vice bien laid & infame, principalement aux princes & grands ſeigneurs, en la bouche & contenance deſquels, la verité eſt mieux ſeante, qu’en autre lieu. Mais il n’y a ſi grand prince en ce monde, combien qu’il ait tous les grands honneurs & richeſſes qu’on ſçauroit deſirer, qui ne ſoit ſubiect à l’empire, & tirannie d’amour. Et ſemble que plus le prince eſt noble & de grand cueur, plus amour faict ſon effort de l’aſſeruir ſous ſa forte main : car ce glorieux Dieu ne tient compte des choſes cõmunes, & ne prend plaiſir ſa maieſté qu’à faire tous les iours

miracles,