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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/224

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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

la fage dame que nulles autres, fi eft-ce que la peur, qu’il auoit de perdre fon amitié fi elle entendoit tels propos, le feit taire & s’amufer ailleurs. Et s’alla adreffer à vne gétil-femme pres de Pampelune,qui auoit maifon en la ville, laquelle auoit efpousé vn ieune homme, qui fur tout aimoit les chiens, cheuaux, & oyfeaux. Et commença pour l’amour d’elle à leuer mille paffe- temps, tournois, ieux de courfes, luytes, mafques,feftins,& au- tres ieux, à tous lefquels fe trouuoit cefte ieune dame. Mais à caufe que fon mary eftoit fort fantaftique, fes pere & mere, la cognoiffans belle & legere,ialoux de fon honneur, la tenoient de fi pres, que ledict feigneur d’Auǎnes ne pouuoit auoir d’elle chofe, que la parolle bie courte en quelque bal.Combien qu’en peu de téps & de propos, apperceut ledict feigneur d’Auannes qu’autre chofe ne deffailloit en leur amitié, que le téps & le lieu. Parquoy il vint à fon bon pere le riche homme, & luy dift qu’il auoit grand deuotion d’aller vifiter noftre dame de Montfer- rat: le priant retenir en fa maifon tout fon train,& qu’il y vou- loit aller feul,ce qu’il luy accorda. Mais fa femme,qui auoit en fon cueur le grand prophete amour,foupçonna incontinent la verité du voyage, & ne fe peut tenir de dire à monfieur d’A- uannes: Monfieur, monfieur, la noftre dame que vous adorez n’eft pas hors des murailles de cefte ville. Parquoy ie vous fup- plie fur toutes chofes regardez à voftre fanté. Luy, qui la crai- gnoit & aimoit, rougift fi fort à cefte parolle, que fans parler il Huy confeffa la verité. Et fur cela s’en alla:& quand il eut acheté vne couple de beaux cheuaux d’Efpaigne, s’habilla en palefre- nier,& defguifa tellement fon vifage que nul ne le cognoiffoit. Le gentil-homme mary de la folle dame, qui fur toute chofe aimoit les cheuaux, veit les deux que monfieur d’Auannes me- noit, & incontinent les vint acheter. Et apres les auoir ache- tez, regarda le palefrenier, qui les manioit fi bien, & deman- da s’il le voudroit feruir.Le feigneur d’Auannes luy dift qu’ouy, & qu’il eftoit vn pauure palefrenier, qui ne fçauoit autre me- ftier que penfer les cheuaux, enquoy il s’acquitteroit fi bien, qu’il en feroit content. Le gentil homme fort aife luy donna la charge de tous fes cheuaux, & entrant en fa maifon dift à fa femme qu’il luy recommandoit fes cheuaux & fon palefre- nier, & qu’il s’en alloit au chafteau. La dame,tant pour complai re à