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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/225

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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

re à fon mary, que pour n’auoir meilleur paffetemps,alla vifiter les cheuaux, & regarda le palefrenier nouueau, qui luy fembla homme de bonne grace: toutesfois elle ne le cognoiffoit point. Luy qui veit qu’il n’eftoit point cogneu d’elle, luy vint faire la reuerence en la façon d’Efpaigne, & luy print & baifa la main, & en la baifant la ferra fi fort, qu’elle le recogneut: car en la dance il luy auoit maintesfois fait le tour. Et des Pheure ne ceffa la dame de chercher lieu ou elle peuft parler à luy à part. Ce qu’elle fit des le foir mefmes: car eftät conuiće en vn feftin ou fon mary la vouloit mener, elle feignit d’eftre malade,& n’y pouuoir aller. Et le mary, qui ne vouloit faillir à fes amis,luy dift: M’amie, puis qu’il ne vous plaift venir, ie vous prie auoir efgard à mes chiens & fur mes cheuaux, à fin qu’il ne leur faille rien. La dame trouua cefte commiſsion trefagrea- ble.Mais fans en faire autre femblant,luy refpondit, puis qu’en meilleure chofe ne la vouloit employer, qu’elle luy donneroit à cognoiftre par les moindres, combien elle defiroit luy com- a plaire. Et n’eftoit pas encores le mary hors de la porte qu’elle defcendit en l’eftable, ou elle trouua que quelque chofe deffail- loit. Et pour y donner ordre, donna tant de commifsions aux svarlets d’vn cofté & d’autre, qu’elle demeura toute feule auec le maiftre palefrenier. Et de peur que quelqu’vn furuint, elle lay dift: allez vous en dedans mon iardin, & m’attendez en vn ca- binet qui eft au bout de Pallée. Ce qu’il feit fi diligemment, qu’il n’eut loifir de la mercier. Et apres qu’elle eut donné ordre à toute l’efcuirie, s’en alla veoir fes chiens, faifant femblable diligence de les faire bien traicter: tant qu’il fembloit que de maiftreffe elle fuft deuenue chabriere. Et apres retourna en fa chambre, ou elle fe trouua fi laffe, qu’elle fe meit dedans le lict, difant qu’elle vouloit repofer. Toutes fes femmes la laifferent feule,fors vne en qui elle fe fioit: à laquelle elle dift: Allez vous en au iardin, & me faictes venir celuy que vous trouverez au bout de l’allée. La chambriere y alla, & trouua le maiftre pale- frenier, qu’elle amena incontinent à fa dame, qui la feit faillir dehors pour guetter quand fon mary viendroit. Monfieur d’A- uannes fe voyant feul auecques la dame, fe defpouïlla des ha- billemens de palefrenier, ofta fon faulx nez & fa faulfe barbe, & non comme palefrenier craintif, mais comme tel feigneur