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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/227

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DE LA ROYNE DE NAVARRE.

gneur d’Auanes à beau pied, car il n’auoit qu’à trauerfer la lon- gueur d’vne ruë. Et arriué qu’il fut en la maifon du riche hom- me fon bon pere,n’y trouua que fa femme,de laquelle l’amour vertueufe qu’elle luy portoit n’eftoit point diminuée pour fon voyage. Mais quand elle le veit fi maigre, & decoloré, ne fe peut tenir de luy dire: Monfieur,ie ne fçay comme il va devo- ftre confcience, mais voftre corps n’a point amendé de ce pele- rinage. Et me doute fort que le chemin, que vous auez faict la nuict, vous ait plus trauaillé que celuy du iour. Car fi vous fuf- fiez allé en Ierufalem à pied, vous en fufsiez bien venu plus hal- lé,mais non pas fi maigre & foible. Or cotez cefte cy pour vne, & ne feruez plus tels images, qui en lieu de refufciter les morts, font mourir les viuans. Ie vous en dirois d’auantage, mais fi voftre corps a peché, ie voy bien qu’il en a telle punition, que i’ay pitié d’y adioufter facherie nouuelle. Quand le feigneur d’Auannes eut entendu tous fes propos, il ne fut pas moins marri que honteux. Et luy dift: Ma dame,i’ay autresfois ouy di- re,que la repentance fuit de bien pres le peché. Et maintenant ie l’efpreuue à mes defpes, vous priant excufer ma ieuneffe, qui ne fe peult chaftier que par experiméter le mal qu’elle ne veult croire. La dame chageant de propos,le feit coucher en vn beau lict ou il fut quinze iours,ne viuant que de reftaurés. Etle ma- ry & la dame luy tindret fi bonne compaignie,qu’il auoit touf- iours I’vn d’eux aupres de luy.Et combien qu’il euft faict les fol- lies que vous auez ouyes,contre la volonté & confeil de la fage dame,fi ne diminua elle iamais l’amour vertueufe qu’elle luy portoit. Car elle efperoit toufiours qu’apres auoir passé fes pre- miers iours en follie, il fe retireroit, & contraindroit d’aimer honneftement,& par ce moyen feroit du tout à elle. Et durát ces quinze iours, qu’il fut en fa maifon, elle luy tint tant de bons propos tendans à l’amour de vertu, qu’il commença à a- uoir horreur de la follie qu’il auoit faicte. Et regardant la dame, quien beauté paffoit la folle, cognoiffant de plus en plus les graces & vertuz, qui eftoiet en elle,il ne fe peult garder vn iour qu’il faifoit affez obfcur, chaffant toute crainte hors, de luy di- re: Ma dame, ie ne voy meilleur moyen pour eftre tel & fi ver- tueux que vous me prefchez & defirez, que de mettre mon cueur à eftre entierement amoureux de la vertu. Ie vous fup- 21113- D