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Page:Marguerite de Navarre - L'heptaméron des nouvelles, 1559.pdf/228

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LA III. IOVRNEE DES NOVVELLES

plie,ma dame,de me dire fil ne vous plaift pas m’y donner tou- te aide & faueur à vous pofsible. La dame fort ioyeufe de luy veoir tenir ce langage, luy dift: Et ie vous promets,monfieur, que fi vous eftes amoureux de la vertu, comme il appartient à tel feigneur que vous, ie vous feruiray pour y paruenir de tou- tes les puiffances que Dieu a mifes en moy. Or ma dame, dift monfieur d’Auannes, fouuienne vous de voftre promeffe, & entendez que Dieu, incogneu du Chreftien finon par foy, a daigné prendre la chair femblable à celle de peché, à fin qu’en attirant noftre chair en l’amour de fon humanité, tiraft aufsi noftre efprit à l’amour de fa diuinité: & s’eft voulu feruir des moyens vifibles, pour nous faire aimer par foy les chofes inui- fibles. Aufsi cefte vertu, que ie defire aimer toute ma vie, eft chofe inuifible, finon par les effaits du dehors. Parquoy eft be- foing qu’elle preigne quelque corps, pour fe faire cognoiftre entre les hommes. Ce qu’elle a faict, fe reueftät du voftre, pour le plus parfait qu’elle a peu trouuer: doncques ie vous reco- gnois & confeffe non feulement vertueufe,mais la feule vertu. Et moy,qui la voy reluyre foubs le voile du plus parfaict corps qui onques fut, qui eft le voftre, la veux feruir & honorer tou- te ma vie, laiffant pour elle toute autre amour vaine, & vicieu- fe.La dame non moins contéte qu’efmerueillée d’ouïr ces pro- pos,difsimula fi bien fon contentement, qu’elle luy dift: Mon- fieur, ie n’entreprens pas de refpondre à voftre theologie,mais comme celle qui eft plus craignant le mal, que croyant le bien, vous voudrois fupplier de ceffer en mon endroit les propos, dont vous estimez fi peu celles qui les ont creuz. Ie fçay tresbie que ie fuis femme non feulement comme vne autre,mais tant imparfaicte, que la vertu feroit plus grand acte de me transfor- mer en elle, que de prendre ma forme,finon quand elle vou- droit eftre incogneuë en ce monde. Car foubs tel habit que le mien, ne pourroit la vertu eftre recogneuë telle qu’elle eft. Si eft-ce,monfieur,que pour mon imperfection,ie ne laiffe à vous porter telle affection, que doit, & peult faire femme craignant Dieu & fon honneur. Mais ceft affection ne fera declarée, iuf- ques à ce que voftre cueur foit fufceptible de la patience que l’a mour vertueufe commande. Et à l’heure, monfieur, ie fçay quel langage il fault tenir. Mais penfez que vous n’aimez pas -tant: