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ORAISON FUNÈBRE

fuir & éviter ? Mais, diras tu, en rendant ainsi Marguerite perfaicte de toutes manières de vertu, & en célant ses vices & imperfections, tu la fais semblable à Dieu, qui est le seul perfaict, & avec cela, tu le fais menteur, veu que l’Escripture dit que personne n’est en ce Monde qui ne soit subgect à pécher.

Certes, tu parles bien & dis la vérité ; car, si je voulois nier Marguerite avoir esté femme, je dy infirme comme sont tous les aultres mortels & subgette à péché, certes, je serois impudent & téméraire, & elle mesmes, si encor estoit vivante avec nous, ne nieroit ce qu’elle confesseoit publiquement & le confirme aux Oraisons qu’elle a faictes à Jésuchrist. Mais je vouldrois bien que ceuls qui taschent ainsi de mettre ses vices contre ses vertus les nous spécifiassent.

Je croy qu’ils n’entendent parler des péchés légiers & véniels, mais des gros, des graves & des mortels, qui ne peuvent estre ne excusés ne dissimulés, & l’énormité desquels donne une villaine tache au nom & tiltre Royal. Or qu’ils nous dient donc qui sont les atroces péchés qu’ils ont congnus en Marguerite, car comment eussent ils peu estre caichés & secrets, veu que, plus est grand celuy qui pèche, plus est son péché congnu de tout le monde. Les déclarent, dy je, &, s’ils peuvent, impriment aux louanges d’elle des perpétuelles macules qui ne puissent estre jamais effacées par les vertus.

Marguerite havoit de grands & singuliers dons de Dieu en son esprit, mais elle n’entretenoit assés bien la gravité de son tiltre par une continuelle & arrestée constance, car elle estoit trop facile à croire, & son esprit estoit si muable que facilement on la tourneoit ça & là. Et davantage elle avoit entretenu & supporté de son bien,