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ORAISON FUNÈBRE

laisserions nous à faire de nous ? Qui est ce qui ne nous soubhaitteroit esprit, entendement & raison ?

Possible me diras tu que ne devons user de cruaulté contre nos corps, mais tu requerras qu’à tout le moins il te soit permis de faire ce que feist Artémise, laquelle nous lisons avoir esté si fort esmeue de la mort de Mausole, son mari, quelle tumba éthique d’inconsolable douleur. Mais lequel des deus est moins cruel à son corps, celui qui court au cordeau pour se pendre, ou se donne un coup de poignard dans le cœur, ou celui qui se fait languir de dueil & de tristesse ? Mais, quand nous penserions à telles choses, l’Apostre S. Paul nous en retire quand il dit que ceuls sont avec les Gentils aveuglés d’ignorance & destitués de toute espérance qui prennent si grand dueil de la mort de leurs parents & amys que le cœur leur fault & deviennent tous esperdus & transis. Que s’il vous est advis que nous devons pleurer la mort de Marguerite, suivés l’exemple d’Antoine le Piteus, qui institua à Faustine, sa femme morte, pareils honneurs que aux Dieus & luy érigea des statues, ou bien pleurons la comme nous lisons Antimache, poëte Grec, avoir pleuré Lysidice, sa femme, sçavoir est par flébiles élégies qui descrivent & révèlent ses vertus & louenges. Combien toutefois que je ne sçaiche personne, ou tant exercé en éloquence, ou de si près approchant à la dignité d’Homère & à la gravité Maroniane, qui peust mieuls poindre Marguerite au vif qu’elle s’est painte de son propre pinceau, je dy par ses escripts, qui si bien expriment son esprit, sa doctrine, sa foy, sa vie, que plus n’est besoing ériger des statues à celle qui s’est assés fait congnoistre au monde, pour l’ensuivre ne luy faire des honneurs divins, veu qu’elle excedde toute louenge & aujourd’huy jouit de la divinité que le Seigneur Dieu a