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Page:Marguerite de Navarre - L’Heptaméron, éd. Lincy & Montaiglon, tome I.djvu/150

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EXTRAITS DE BRANTOME

congnoissoit, si bien qu’elle le rendist guéry. Aussi le Roy le disoit souvent que sans elle il estoit mort, dont il lui avoit ceste obligation qu’il recongnoistroit à jamais & l’en aymeroit jusqu’à sa mort.

Aussi elle lui rendoit la pareille & de telle amour que j’ay ouy dire qu’ayant sçeu son extrême malladie, elle dit ces mesmes paroles : « Quiconques viendra à ma porte m’annoncer la guérison du Roy mon frère, tel courrier fût-il las, arassé, fangeux & malpropre, je l’yray baiser & accoler comme le plus propre Prince & Gentilhomme de France, &, quand il auroit faute de lict : & n’en pourroit trouver pour se dellasser, je luy donnerois le mien & coucherois plustost sur la dure, pour telles bonnes nouvelles qu’il m’apporteroit. » Mais, en ayant sçeu la mort, elle en fist des lamentations si grandes, des regretz si cuisans, qu’oncques puis elle ne se peut remettre & ne fist jamais plus son proffit, à ce que j’ay ouy dire aux miens. Après en avoir sçeu la mort par les chemins, l’allant trouver pour le secourir & restaurer encor une autre foys, elle se retira en une Religion de fames en Angoumoys, qu’on appelle Tusson[1], où elle y fist une quarantaine qui dura quatre moys, la plus austère & triste qu’on eust sçeu voyr, jusque là que bien souvent elle faysoyt l’office de l’Abesse & en tenoyt le rang à suyvre le servyce, autant à la messe qu’aux vespres. J’ay veu cela, moy, estant petit garson, aveq ma grand’mère qui estoit sa Dame d’honneur.

Ceste fois qu’elle fut en Hespaigne, elle parla à l’Empereur si bravement, & si honnestement aussy, sur le

  1. Tusson, dans la Charente, arrondissement de Ruffec. — Lal.