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Ire JOURNÉE

Marchant, ou qu’elle la mectroyt en Religion ; mais ceste fille, qui plus aymoit ce Marchant qu’elle ne craingnoit sa mère, le chercheoit plus que paravant.

Et ung jour advint que, estant toute seulle en une garde robbe, ce Marchant y entra, lequel, se trouvant en lieu commode, se print à parler à elle le plus privément qu’il estoit possible. Mais quelque Chambrière, qui le veyt entrer dedans, le courut dire à la mère, laquelle avecq une très grande collère se y en alla, &, quand la fille l’oyt venir, dist en pleurant à ce Marchant :

« Helas, mon amy, à ceste heure me sera bien cher vendue l’amour que je vous porte. Voicy ma mère, qui congnoistra ce qu’elle a tousiours crainct & doubté. »

Le Marchant, qui d’un tel cas ne fut poinct estonné, la laissa incontinant & s’en alla au devant de la mère &, en estendant les bras, l’embrassa le plus fort qu’il luy fut possible &, avecq ceste fureur dont il commençoit d’entretenir sa fille, gecta la pauvre femme vieille sur une couchette, laquelle trouva si estrange ceste façon qu’elle ne sçavoit que luy dire, sinon :

« Que voulez vous ? Resvez vous ? »

Mais pour cella il ne laissoit de la poursuivre d’aussi près que si ce eust esté la plus belle fille du monde, &, n’eust esté qu’elle crya si fort que