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VIJe NOUVELLE

ses varletz & chamberières vindrent à son secours, elle eust passé le chemyn qu’elle craingnoyt que sa fille marchast.

Par quoy, à force de bras, ostèrent ceste pauvre vieille d’entre les mains du Marchant, sans que jamais elle peust sçavoir l’occasion pourquoy il l’avoyt ainsy tourmentée.

Et durant cela se sauva sa fille en une maison auprès, où il y avoit des nopces, dont le Marchant & elle ont maintesfois ri ensemble depuis aux despens de la femme vieille, qui jamais ne s’en apparçeut.

« Par cecy voyez-vous, mes Dames, que la finesse d’un homme a trompé une vieille & saulvé l’honneur d’une jeune. Mais qui vous nommeroyt les personnes, ou qui eust veu la contenance de ce Marchant & l’estonnement de ceste vieille, eust eu grand paour de sa conscience s’il se fust gardé de rire. Il me suffit que je vous preuve par ceste histoire que la finesse des hommes est aussi prompte & secourable au besoing que celle des femmes, à fin, mes Dames, que vous ne craigniez poinct de tumber entre leurs mains, car, quand vostre esperit vous défauldra, vous trouverez le leur prest à couvrir vostre honneur. »

Longarine luy dist :

« Vrayement, Hircan, je confesse que le compte est trop plaisant & la finesse grande, mais si n’est ce pas un exemple que les filles doyvent ensuivre. Je croy bien qu’il y en a à qui vous vouldriez le faire